Des plages de Californie au Mucem : La culture skateboard au musée
José de Matos, Tony Hawk, Mark Gonzales… ces noms, qui parlent à tous ceux et toutes celles qui ont un jour skaté, sont ceux de skateurs historiques présents sous plusieurs formes dans les collections du Mucem. Certains d’entre eux ont donné des skateboards, des équipements ou des souvenirs aux musées, tandis que d’autres sont évoqués grâce à des skateboards griffés à leur nom.
Extrait de Roller Skater magazine, hiver 1982, n°3, Fonds José de Matos (409W), Mucem
Dans les réserves du Mucem se trouve un véritable trésor : une des plus grandes collections publiques relative au skateboard. Plus de mille objets - planches, roues, œuvres d’arts, équipements sportifs ou encore souvenirs de skateurs remarquables – retracent, des années 1960 aux années 2000, l’histoire de cette pratique, celle de ses champions comme de ses amateurs.
Cette étonnante collection est le fruit d’une collecte et d’une enquête ethnologique menées dans les années 1990 par deux ethnologues, Claire Calogirou et Marc Touché, assistés par Marie Cipriani Crauste. Pendant presque une décennie, tous les trois fréquentent les hauts-lieux du skate en France, comme le Trocadéro (Paris), Poitiers, Bayonne ou encore Bourges, pour rencontrer champions, mordus de skate, vendeurs ou fabricants de planches. Au cours de ces voyages et rencontres, les enquêteurs ont découvert et collecté de nombreux objets qui éclairent cette pratique culturelle et sportive sous différents angles : technique, culturel ou encore institutionnel.
Plusieurs expositions en France, notamment au musée national des Arts et Traditions populaires en 1997, ont, à partir de cette collecte, présenté l’émergence et le développement du skateboard en France ainsi que les imaginaires qui y sont associés. La présentation dans l’appartement témoin du Mucem d’une grande partie de la collection relative au « skateboard » permet au public d’explorer encore aujourd’hui cette histoire mythique.
Mythologie du skateboard : d’un jeu pour enfant aux contre-cultures
Jouet de la marque Auto-skiff, 1920-1930, don André Sévenier, 2002.64.1. Photo Mucem / Christophe Fouin
Skateboard « Surfer », 1975-1979, Acs (essieux), Barland (roues), 2000.29.132. Photo Mucem / Anne Maigret
Planche de skateboard détournée, don Gilles Lazennec, 2002.48.7. Photo Mucem
Planche de skateboard avec l’inscription « Skateboarding is not a crime », 2002.49.3. Photo Mucem
Avant d’être adopté, dans les années 1960, par des adolescents ou de jeunes adultes en quête de liberté, le skateboard est un innocent jouet dérivé des patins à roulettes, des trottinettes ou encore des caisses à savon servant à descendre des pentes. Une étrange planche à quatre roues des années 1920, rappelle cette lointaine origine. Nommé « auto-skiff », ce jouet permettait notamment de faire des courses ou de dévaler les pentes : l’enfant s’asseyait sur la plateforme arrière servant de siège, les pieds arc-boutés sur la barre avant qui servait à orienter l’engin, et tirait sur le cordon rattachée à la poulie à l’avant de la planche pour actionner les roues arrières.
Durant la décennie 1960, le skateboard quitte le monde de l’enfance pour gagner une réputation plus libertaire au contact des surfeurs californiens. Ces derniers commencent à skater quand la mer n’est pas assez bonne, tandis que les entreprises de surf organisent au même moment les premières compétitions de skate.
La planche du modèle « Surfer », aux roues rouges griffées « Barland », témoigne de cette rencontre entre le monde du skateboard et celui du surf, ainsi que du développement du skateboard en France. Le décor du plateau, composé de photographies de surfeurs prenant les vagues sous le soleil brillant ou au coucher du jour, reprend ainsi l’imaginaire californien. L’entreprise « Barland », spécialisée dans le surf et dans le skate joue également avec cet imaginaire, non pas aux Etats-Unis, mais en France. Installée à Bayonne, un haut lieu du surf en France, elle est l’une des premières firmes à fabriquer des roues de skateboard en France. Elle participe ainsi à importer cette pratique culturelle et sportive en France.
Adopté par des adolescents et de jeunes adultes qui cherchent souvent à défier l’autorité, le skateboard est immédiatement perçu comme dangereux. Les panneaux d’interdictions se multiplient, dans les rues jusqu’aux couloirs du métro. Dans une démarche ironique, le skateur Gilles Lazennec a détourné l’un d’eux en réunissant un panneau volé dans le métro parisien et une planche de skate pour le saut en hauteur, fabriquée à partir d’une marche d’escalier.
En réponse à cette interdiction, les skateurs inventent la formule « Skateboarding is not a crime », désormais un cri de ralliement pour cette communauté.
Faire « chanter le béton » : histoires d’asphaltes, de plastique et de caoutchouc
Lot de roues en uréthane de la marque « Road Rider », vers 1975-1979, 2000.29.41. Photo Mucem
Un tube de « ShoeGoo » (2002.49.26) et une chaussure réparée à l’aide de cette colle (2002.35.6.2, don Hardouin-Duparc). Photos Mucem
Planche de skateboard fabriquée par François Hardouin-Duparc, vers 1977-1980, 2002.35.29, don Hardouin-Duparc. Photo Mucem
Pour un skateur, le choix du matériel est essentiel. La forme des roues et celle des planches, ainsi que leurs matériaux constitutifs, déterminent en effet l’adhésion au goudron, la maniabilité du skateboard et donc la manière de skater. Conscients de l’importance de ces données techniques, les ethnologues à l’origine de notre collection ont réuni de nombreuses pièces détachées de skateboard.
Un ensemble important de roues permet ainsi d’éclairer l’évolution technique du skate et notamment le passage, au début des années 1970, de roues composées d’un mélange d’argile et de plastique (clay wheels), qui avaient le défaut de se désagréger très vite, à celles en uréthane (un matériau à base de pétrole) qui offrent une meilleure adhérence au goudron et une meilleure résistance à l’usure.
Les skateurs sont aussi attentifs à l’entretien de leur matériel qu’au choix de leur planche. Car le matériel coûte cher et s’use vite. Plusieurs astuces permettent ainsi de faire durer plus longtemps le matériel, comme le « ShoeGoo ». Cette résine transparente a longtemps été utilisée par les skateurs pour réparer leurs chaussures, par la suite interdite en France car elle dégageait des vapeurs toxiques (inhalées volontairement par certains skateurs).
Passionnés et débrouillards, un grand nombre de skateurs fabriquent eux-mêmes leur skateboard et testent différentes formes. L’étonnante planche 2002.35.29 est l’un de ces objets bricolés. Trois petites planches beiges en forme de banane ont été découpées et assemblées pour former en quelque sorte la base d’un skateboard. Le tout a été fixé sur une lourde planche en bois rectangulaire. Ce skateboard (unique en son genre !) est l’une des inventions d’un papa-bricoleur, François Hardouin-Duparc, pour ses trois enfants qui apprennent le skateboard à la fin des années 1970.
Les années 1990 : skateboard et politique
Dans les années 1990, amateurs de skateboard comme fabricants ne cherchent plus à inventer de nouveaux types de planche, comme le faisait la famille Hardouin-Duparc. Durant cette décennie, la forme des planches et leur fabrication sont standardisées. Pour se distinguer, les marques de skateboard qui se disputent le marché explorent alors un nouveau domaine : le graphisme des planches. Atout commercial, le graphisme peut aussi être un outil politique. Les planches servent ainsi à dénoncer, parfois de manière très provocante, le port des armes, le puritanisme de la société américaine ou encore la société de consommation.
Planche « Burger Board » conçue pour le skateur Jason Lee, Blind, 1991, 2002.45.11, don Jean-Marc Vaissette. Photo Mucem
En témoigne la « Burger Board », dessinée pour Jason Lee. Le graphiste a détourné de manière ironique les publicités de la chaîne de fast-food « Burger King » : une photographie du fameux sandwich américain a été apposée sur un fond en damier représentant des vaches, tandis que le nom du skateur auquel était destinée la planche est inscrit sous forme d’un logo reprenant celui de la célèbre enseigne américaine. Ce détournement, pour le moins critique envers la société de consommation américaine, a été peu apprécié par les services juridiques de l’enseigne de fast-food qui ont cherché à faire retirer cette planche du marché.
Plusieurs pièces des collections du Mucem illustrent par ailleurs, l’ouverture du skateboard aux communautés hispaniques ou afro-américaines, alors que cette pratique était jusque-là presque essentiellement réservée aux jeunes blancs de la classe moyenne.
Planche « Black Jesus » conçue pour le skateur Jahmal Williams, American Dream, 1995, 2002.45.62, don Jean-Marc Vaissette. Photo Mucem
Planche conçue pour le skateur Chico Brenes, Chocolate, vers 1995-1999, 2002.45.76, don Jean-Marc Vaissette. Photo Mucem
La planche « Black Jesus » de 1995, de la marque « American Dream », est ainsi griffée au nom d’un skateur afro-américain, Jahmal Williams, tandis que celle de la marque « Chocolate » porte le nom du skateur hispanique Chico Brenes.
De la mer à la rue, le skateboard s’est progressivement institutionnalisé, comme en témoigne son entrée en 2021 aux Jeux Olympiques de Tokyo et sa présence, en 2024, aux jeux parisiens. L’indépendance des skateurs et la dimension de contre-culture de la pratique reste pourtant vive que beaucoup de villes cherchent à canaliser en la contraignant dans des espaces attitrés (les skate-parks).
La devise du skateboard reste toujours d’actualité : SKATEBOARDING IS NOT A CRIME.
Claire Calogirou, Photographie d’un skateur à Brest, Janvier 2000, Mucem
Pour aller plus, écoutez l’émission LSD, la série documentaire, « Skate, de la rue aux JO », enregistrée en partie au Centre de Conservation et de Ressources.