Abécédaire insolite!
Que font ces objets au Mucem ?
Comme l’indique son nom, le Mucem est un musée de civilisations. C’est-à-dire qu’il s’intéresse à tout ce qui est produit et utilisé par les sociétés européennes et méditerranéennes, depuis la naissance de l’humanité jusqu’à nos jours. À ses yeux, une sculpture funéraire de l’Egypte Antique parle autant des pratiques rituelles autour de la mort sous le règne des pharaons qu’une couronne de fleurs en perles de verre raconte l’attachement aux défunts dans la France de la première moitié du XXe siècle.
Chaque objet, aussi modeste ou kitch soit-il, témoigne donc de la société dont il est issu. C’est pourquoi le musée, depuis sa création, s’est donné pour mission de rechercher et de conserver une grande variété des témoins possibles et imaginables afin d’en garder la mémoire. Il a en particulier œuvré d’une manière systématique en organisant chaque année des enquêtes collectes. Pour un thème donné, dans un espace géographique délimité, les chercheurs du Mucem recueillent paroles, images et objets. C’est ainsi que les artefacts ci-dessous ont trouvé le chemin des collections nationales.
Voici une sélection, sous la forme ludique d’un abécédaire, de certaines des œuvres les plus insolites conservées par le Mucem, ainsi que les arguments plaidant en faveur de leur entrée dans le patrimoine européen et méditerranéen du musée.
- A comme Album Panini
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Quel Européen né entre la deuxième moitié du XXe siècle et le début du XXIe n’a pas collectionné dans son enfance les images autocollantes et les albums édités par la firme italienne Panini? Fondée en 1961, la maison d’édition publie depuis sa création les succès internationaux de l’univers enfantin, du football, à Star Wars, en passant par Barbie et tous les films de Walt Disney. Si certains albums, comme ceux du WWF, se situent plus dans une veine éducative, en sensibilisant les petits aux sciences naturelles et à l’environnement, la majorité des ouvrages, dédiés au sport et au spectacle (jouets et surtout dessins animés), reflète le monde dans lequel vivent les populations occidentales depuis les années 1960. Ils dévoilent ainsi les sirènes d’une société de consommation chantant à l’oreille de chacun dès le plus jeune âge. Le Mucem se devait donc d’acquérir des témoins de cet engouement pour les vignettes autocollantes et la pratique de collectionneur. Ce fut chose faite en 2007 avec le don de 60 albums allant des années 1970 aux années 1990.
- B comme Bouton d’or (costume de)
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En 1979, le musée s’est intéressé au thème des fêtes en France, un sujet vaste s’il en est. On ne compte plus les cérémonies de passage (noces, communions solennelles ou conscription par exemple), les fêtes calendaires profanes ou religieuses comme Pâques ou le 14 juillet, les fêtes traditionnelles rurales et celles populaires urbaines tels que bals et fêtes foraines. En bref, tous les aspects de ce moment de réjouissances, de communication et de cohésion au sein d’une communauté plus ou moins étendue ont été explorés pendant trois années. Le carnaval de la petite ville de Jargeau, dans le Loiret, dont la réputation dépasse largement les frontières de la région Centre qui le voit se tenir annuellement à chaque mardi-Gras depuis le XIXe siècle, fut l’un des tout premiers terrains de l’enquête. En furent rapportés, entre autres, trois costumes de boutons d’or, défilant dans les rues en bouquet. Trente ans plus tard, ce thème de la fête, resserré autour des carnavals et de la mascarade en Europe et Méditerranée, fit l’objet d’une nouvelle enquête-collecte qui prouva que cette pratique pluriséculaire est toujours bien vivante, ainsi qu’en témoigna en 2014 l’exposition «Le monde à l’envers».
- C comme Cloclo
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L’attachement à des personnes célèbres pour leur talent, leur beauté, leur pouvoir est un phénomène connu et étudié depuis le milieu du XXe siècle. En revanche, le monde des fans et des produits dérivés de stars créés spécialement pour eux n’a été observé que plus récemment. Dans une enquête-collecte pionnière, le Musée national des arts et traditions populaires s’est intéressé au tournant des années 1970 à la communauté des admirateurs de Claude François et a fait entrer dans les collections nationales ces témoins du marketing orchestré par le chanteur autour de sa personne. Posters, biographie, photos dédicacées, parfum composé par la vedette sont aujourd’hui des types d’objets bien connus de tous les fans clubs de célébrités à travers le monde. Plus insolite en revanche, et certainement plus révélateur de l’époque qui l’a vu naître et des goûts du public d’alors: la statuette en plâtre Claude-François à peindre soi-même.
- D comme D (système)
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Cette maquette au 1/300e de trois-mâts battant pavillon britannique est composée de matériaux étonnants: du carton pour le corps du bâtiment, des petits morceaux de bois pour les mâts, des cheveux tressés ou torsadés pour les filins et cordages. Elle a été créée au début du XIXe siècle peut-être par un Anglais détenu sur l’île de Ré. Les conditions de création expliquent le caractère fruste des matières utilisées: ce prisonnier a fabriqué ce petit navire avec ce qu’il avait à disposition. Soit pas grand-chose. Loin d’être anecdotique, cette œuvre s’inscrit dans une tradition de fabrication d’objets en condition carcérale appelé «travail de ponton». Ce dernier tire son nom des bateaux désarmés ancrés au large des côtes anglaises dans lesquels les Britanniques enfermaient au tout début du XIXe siècle les prisonniers français, soldats, marins et corsaires aux ordres de Napoléon Ier. Afin de ne pas perdre la raison et de s’occuper dans ces prisons flottantes, les détenus réalisaient de menus objets, maquettes de bateaux, petits automates, coffrets, statuettes… à partir de ce qu’ils trouvaient sur le navire. Cette maquette aux matériaux insolites parle donc du quotidien de milliers de prisonniers durant les guerres napoléoniennes.
- E comme Éternels (regrets)
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La mort occupant dans les sociétés humaines une place prépondérante, un musée de civilisations comme le Mucem se doit de garder le témoignage des pratiques mortuaires, de la plus haute antiquité jusqu’à nos jours. S’inscrivent dans cette démarche conservatoire le groupe funéraire sculpté égyptien antique représentant un bouvier et ses bêtes, les cercueils et urnes françaises des XIXe, XXe et XXIe siècles ou encore les sobres stèles en bois du XXe siècle marquant les tombes macédoniennes. En 2003, le Mucem a reçu un important don de collectionneuses d’objets mortuaires collectés dans des cimetières français et mis au rebut après abandon des tombes. Ont alors été acquis couronnes de fleurs perlées, peintures sous verre, photos encadrées dans de lourds globes de verre ou imprimées sur des plaques métalliques, compositions élégiaques en cheveux, pots de fleurs en métal, tableautins de fleurs en céramiques… datant de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, et rendant compte de types de dons funéraires qui n’ont aujourd’hui plus cours.
- F comme Footix
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En 1998, suite à l’engouement pour le Mondial de football provoqué par le succès de l’équipe de France, le musée a entrepris une vaste campagne de collecte des objets souvenirs de l’événement. C’est à cette occasion qu’a été acquis ce costume complet de la mascotte officielle de la Coupe du monde, Footix, le coq gaulois au nom à consonance sportive. Produit par le Comité français d'organisation de la Coupe du monde de football, il est destiné à être enfilé par un adulte de taille moyenne. Nos enquêteurs se sont intéressés à différents types d’objets témoins de l’événement: des accessoires de supporters, des documents de communication autour des matchs, des objets destinés au personnel encadrant chaque manifestation… Sont alors entrés dans les collections, entre autres, 11 affiches officielles des villes accueillant la Coupe du Monde, le catalogue officiel des Trois suisses de la vente des produits de la Coupe, un lot d’objets produits par la marque Sony France, un t-shirt décoré «Coupe du monde» et une trompe en plastique «nou le avec zot» de l’île de la Réunion, trois casse-têtes, une pochette de documents d’accès pour un match de la Coupe, une enseigne Footix lumineuse mesurant 1,80 m sur 1,60 m, des produits de parfumerie, vêtements et accessoires griffés Yves Saint Laurent portés par les hôtesses d’accueil, des jeux de sociétés de la marque Hasbro et divers autres objets d’usage plus quotidien, comme une cartouche d’imprimante Hewlett Packard frappée d’un logo «World Cup», des accessoires pour chien, des slips de bain, des verres McDonald’s, des statuettes en cristal à l’effigie de Footix… À partir de 2014, une nouvelle enquête-collecte s’est penchée pendant trois années sur le monde du football et du supporterisme, en s’ouvrant à l’espace euro-méditerranéen prolongeant celle initiée en 1998 tout en délaissant le monde du merchandising exploré cette année-là.
- G comme Gant
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Certains objets conservés au Mucem peuvent apparaître insolites aux yeux du visiteur d’aujourd’hui. Pourtant, il y a encore quelques décennies, il ne suscitait aucun froncement de sourcil auprès de leurs usagers. Cet objet n’est pas un patin à glace pour athlète ayant perdu deux orteils, mais un gant utilisé par les paysans de l’espace balkanique du début du XIXe au milieu du XXe siècle. Au moment des récoltes, les faucheurs passaient cette protection de bois à trois doigts de la main qui ne tenaient pas la faucille. Ce gant leur permettait de tenir les épis dans sa partie supérieure courbée et de les couper sans risquer de se blesser.
- H comme Hommage
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À la fin des années 1990, le Musée national des arts et traditions populaires a lancé des recherches sur les nouveaux rituels sacrés et profanes en collectant des objets de dévotion et des souvenirs de pèlerinage modernes, principalement de nature religieuse. Cependant, les phénomènes de dévotion qui se sont développés autour de la personne de la princesse Diana à la suite de son accident mortel, sous le tunnel du pont de l’Alma à Paris en août 1997, ont éveillé l’intérêt des enquêteurs. Autour de la flamme de la liberté de Bartholdy sommant le pont de l’Alma—réplique de celle tenue par la Statue de la Liberté de New York—les hommages et pratiques rituelles votives se sont accumulés. La flamme elle-même a reçu de nombreux graffiti disant l’amour et la tristesse des admirateurs de Lady Di, élevée par beaucoup au rang de sainte. La Ville de Paris, propriétaire de la sculpture décida, devant ce qu’elle considérait comme des dégradations de l’espace public, de faire disparaître les graffiti. L’opération de restauration nécessita la pose de palissade et d’un panneau de chantier indiquant la nature des travaux accomplis. Les «pèlerins» transformèrent ce panneau en plaque commémorative. C’est la raison pour laquelle le musée décida d’en faire l’acquisition. Il exprime en effet parfaitement la dévotion populaire portée à Lady Diana, en dépit des mesures de protection du monument décidé par les pouvoirs publics.
- I comme IAM
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Depuis 2000, le Mucem s’intéresse aux tags et graffs dans l’espace euro-méditerranéen, ainsi qu’aux musiques et danses urbaines qui sont souvent leur corolaire, rap et hip-hop en tête. Une partie de l’enquête fut consacrée à Marseille, représentée, dans les collections du musée, par Jo Corbeau et Massilia Sound System, essentiels à la diffusion du hip-hop localement et plus largement en France. Pour le rap, le groupe marseillais IAM, né en 1998, était la référence à étudier. Composé de Akhénaton, DJ Khéops, Shury’K, Imhotep et Kephren, IAM enregistre ses disques au studio La Cosca, dans la cité phocéenne. C’est d’ailleurs le propriétaire du studio qui a offert au Mucem divers objets iconiques du rap d’IAM: le disque d’or en Belgique de l’album L’Ecole du micro d’argent, un coffret de promotion pour la sortie de ce même album, un cahier de scénario du clip La Saga ainsi qu’une reproduction en métal de la signature de IAM offerte par un fan.
- J comme Jaguar
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Les collections du Mucem dépassent les frontières géographiques de l’Europe et de la Méditerranée. En effet, du temps ou le musée était celui des arts et traditions populaires français, c’est à l’espace français dans son entier qu’il s’intéressait. Et donc, aux départements et territoires d’Outre-mer. En toute légitimité, l’institution, alors parisienne, s’est portée acquéreur en vente publique, les 14 et 15 décembre 1953, d’une partie de la collection d’Edouard Mérite. Le peintre et sculpteur animalier a en effet consacré sa vie à collectionner pièges, cages, appeaux et leurres pour animaux, une passion qui fit sa célébrité. Cette flûte en os de jaguar, réalisée par un indien autochtone guyanais a été sélectionnée par le musée pour entrer dans le patrimoine français. Quarante ans plus tard, la Guyane, mais également la Martinique, la Guadeloupe et la Réunion ont été terres d’enquête du musée. Des objets représentatifs des pratiques culturelles des diverses populations vivant dans ces territoires français ont été collectés, afin d’évoquer le métissage Outre-mer et les traits spécifiques à chaque culture.
- K comme Kit d’hymen artificiel
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Cette petite boîte écrin en bois comprend deux sachets en aluminium. L'un contient une membrane pour simuler un hymen intact et l'autre du liquide rouge pour le sang. À l’origine conçu au Japon en 1993 par un fabricant d’accessoires coquins, c’est en tant que sex toy que ce kit d’hymen artificiel a été commercialisé en Asie du Sud, puis en Occident. Cependant, il a connu un tout autre usage dans les pays où la société accorde une importance à la virginité féminine au moment du mariage. Il y a remplacé à moindre frais la chirurgie de réfection de l'hymen. Le kit d’hymen artificiel est devenu l'objet de controverses au point qu'il est interdit par les autorités religieuses musulmanes notamment en Egypte. Au point qu’Abdul Moeti Bayoumi, un religieux égyptien a lancé en 2009 une fatwa demandant à ce que les vendeurs du faux hymen soient poursuivis pour promotion de l'immoralité et du vice, un crime pouvant entrainer la peine de mort selon la loi islamique de la charia. C’est parce qu’il illustre parfaitement les différentes positions tenues sur le pourtour méditerranéen autour d’un thème donné, ici celui de la virginité, et qu’il cristallise certaines tensions sociétales, que cet objet, au premier abord trivial, mérite d’entrer dans le patrimoine national.
- L comme Luge
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Quel est l’usage de cette boîte en bois pourvue d’une lanière ? Les écoliers du Queyras, vallée des Hautes-Alpes françaises auraient répondu sans hésitation, au tout début du XXe siècle. « C’est un cartable. Nous l’utilisons aussi l’hiver pour dévaler les pentes enneigées. Il fait alors luge portative ! ». A l’heure des sacs à dos plastifiés et non rigides, ornés des effigies de leurs héros, les petits montagnards du XXIe siècle perdraient certainement une course de cartable-luge contre leurs ancêtres.
- M comme Moule à suppositoire
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En 2000, s’avisant de la fermeture de trois hôpitaux parisiens (Boucicaut, Laennec et Broussais) dont les services devaient s’intégrer dans le nouvel Hôpital européen Georges-Pompidou, le Mucem décida de lancer une enquête-collecte afin de sauvegarder la mémoire immatérielle et matérielle de ces trois institutions. Les enquêteurs choisirent d’étudier des matériels et mobiliers représentatifs non pas de l’identité spécifique de chacun des établissements, mais représentatifs des soins, des traitements, et de la vie quotidienne à l’hôpital en général, pendant la seconde moitié du XXe siècle. Un certain nombre d’axes ont été dégagés, en particulier les aspects relatifs au cycle de la vie à l’intérieur de l’hôpital, les rituels de la naissance et de la mort, la prise en charge thérapeutique, le «folklore» carabin, le propre et le sale, ainsi que le domaine alimentaire. C’est ainsi que ce moule à suppositoires a trouvé le chemin des collections du Mucem.
- N comme Neige (boule à)
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À l'intérieur de cette boule de verre remplie d'eau se trouve une représentation en trois dimensions d'un édifice flanqué d’une tour. Il s'agit du vieil Hôtel de ville et de la Tour de l’horloge de Prague, que l’inscription «Praha» portée sur le socle permet d’identifier. Lorsqu’on la retourne, de fines particules de polystyrène en suspension tombent en flocons neigeux sur le monument. La boule à neige est un souvenir très populaire. Elle représente en général les symboles forts d’un pays ou d’une ville qui permettent à tous de les identifier. Son origine remonte, semble-t-il, à l'Exposition universelle de 1878 à Paris. Les maîtres-verriers y étaient à l'honneur. Certains d’entre eux présentaient les premières boules à neige, contenant des figurines d’hommes s’abritant sous un parapluie. L'Exposition universelle de Paris de 1889 qui vit l’inauguration de la Tour Eiffel lança la mode des monuments dans des globes de verre. Ces derniers se répandirent au cours du XXe siècle en un effet… boule de neige, au point de devenir un incontournable de souvenirs de vacances. C’est pour cette raison que de nombreuses boules à neige issues de différentes capitales européennes et présentant leurs monuments les plus célèbres ont été acquises lors de l’enquête-collecte menée de 2005 à 2006 sur les objets touristiques.
- O comme Ortie
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Cette lévite, une redingote d’homme ample et descendant jusqu’à mi-mollet, a été confectionnée, vraisemblablement dans la deuxième partie du XVIIIe siècle, dans une étoffe de droguet. Tissu de médiocre qualité, le droguet est considéré comme l’ancêtre du jean. Traditionnellement constitué d’une trame de chanvre ou de lin sur chaîne de laine ou de laine sur coton, on peut, comme ici, le trouver tissé à partir de fibres d’orties. Contrairement aux idées reçues, la fibre d’ortie n’est pas urticante. Elle a été utilisée en Europe depuis le Moyen Âge, principalement pour confectionner des cordages et des textiles. Sa fibre légère et solide possède des qualités d’isolation thermique permettant de réaliser des étoffes chaudes l’hiver, mais fraiches l’été. Son usage, commun jusqu’à la fin du XIXe siècle est tombé en désuétude, mais les récentes questions environnementales la remettent sur le devant de la scène. L'ortie est en effet une alternative intéressante à la culture du coton; c’est une plante vivace dont la culture ne nécessite aucun produit polluant. De nouveaux vêtements, en particulier des jeans, sont aujourd’hui fabriqués à partir de sa fibre.
- P comme Préservatif
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Avec une collection de près de 800 préservatifs, le Mucem est certainement le musée national qui compte le plus d’objets de ce type dans ses réserves. Ils sont tous issus d’une enquête collecte initiée en 2002 autour de la mémoire du sida. Le sida (ou Syndrome d’immunodéficience acquise) est l’une des épidémies majeures de la fin du XXe siècle. Au-delà de la terrible maladie qui touchait, selon le rapport ONUSIDA de 2007, 33,5 millions de personnes sur la planète, le sida a ceci de particulier que pour la première fois dans l’histoire des épidémies, les malades ont pris la parole pour défendre leurs droits, et notamment celui à l’information et à la prévention. C’est l’un des axes qu’a suivi l’enquête «Histoire et mémoire du sida», en acquérant plus de 12 000 objets provenant de 49 pays d’Europe et de la Méditerranée.
- Q comme «c’est la Quille!»
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Un conscrit est un jeune homme appelé pour effectuer son service militaire. Cet appel sous les drapeaux de tous les jeunes Français nés la même année est un héritage de la Révolution. Au moment de partir pour l’armée, tous se réunissaient pour une fête qui symbolisait en quelque sorte l'entrée dans le monde des adultes. Pratiquée dans toutes les régions françaises avec des variantes, elle prenait généralement la forme de bals dans lesquels les conscrits portaient canotier et cocarde tricolore. Si le début du service militaire était célébré, sa fin était attendue avec impatience. C’est ce que symbolisent les quilles de conscrit. Du nom du bateau, La Quille, qui à la fin du XIXe siècle ramenait les forçats du bagne de Cayenne en France métropolitaine, les quilles de bois en vinrent à symboliser la libération des jeunes soldats et leur retour à la vie civile. Souvenir des années passées sous les drapeaux, elles pouvaient être plus ou moins décorées, souvent coloriées aux couleurs du régiment, portaient le nom du titulaire, le numéro de la classe d'incorporation, le numéro de la dernière unité, les étapes du service militaire ainsi que des inscriptions et des dessins grivois: le conscrit libéré, après avoir été «bon pour le service armé» devenait «bon pour les filles». Avec la fin du service national obligatoire, la tradition s’est perdue, et les quilles de conscrit du Mucem témoignent d’une étape fondamentale dans la vie des jeunes Français des XIXe et XXe siècles aujourd’hui disparue.
- R comme Rire
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En 1972, le musée fit l’acquisition de plus de 2 000 articles de farces et attrapes, allant du faux-nez à l’appareil photo lance-eau en passant par la boîte de chocolats vibrante. Il s’agissait du fonds de la société française Coudurier et Niogret, active en région parisienne de 1931 à 1970. Sa propriétaire, Gabrielle Niogret, céda plus de trois cents objets produits avant 1938 (correspondant à la période d’activité de son père, fondateur de la maison) ainsi que l’outillage servant dans l'atelier familial et différentes étapes de fabrication des farces et attrapes. Cette collection est d’un grand intérêt elle témoigne de l’activité et du savoir-faire d’une entreprise qui, pendant près d’un demi-siècle, employa une petite dizaine d’ouvriers. Celle-ci fit partie des cinq plus importants fabricants de farces et attrapes de France du milieu du XXe siècle. L’Histoire nationale se lit également en filigrane au travers du parcours de la maison Coudurier-Niogret. Sous l’occupation allemande, par exemple, elle fut fermée, mais l’atelier, réduit à deux ouvriers, continua de «tourner», malgré le manque de matières premières. Elle permet également d’apprécier l’humour français et son évolution au cours du XXe siècle à l’aune de la production de petits objets facétieux.
- S comme Saindoux
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Il y a encore quelques décennies, les charcutiers français démontraient lors des fêtes de Pâques ou de Noël leur talent et leur sens artistique en décorant leurs vitrines de maquettes réalisées en saindoux (graisse de porc). Les pièces étaient ensuite détruites afin de récupérer la matière première. Parmi celles qui n’ont pas été refondues, peu ont subsisté, leur matériau constitutif étant hautement périssable. C’est la raison pour laquelle cette maquette de l’hôtel de ville de Mézières est très précieuse. Réalisée à la fin des années 1930 par Charles Fauquinon, président du Syndicat des Charcutiers des Ardennes, elle est l’un des rares témoins d’un savoir-faire ancien démontrant l’habileté d’un artisan. D’ailleurs, les maquettes de ce type étaient fréquemment présentées comme pièce de réception par les candidats au compagnonnage, afin d’être agréé par ses pairs charcutiers.
- T comme Tag
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C’est aux Etats-Unis, et notamment à New-York que naît le graffiti. À l’origine, c’est une manière pour les gangs de s’approprier un territoire urbain avant de voir des anonymes apposer leurs signatures dans l’espace public, comme dans le métro new-yorkais. Peu à peu, l’art du lettrage se développe et dès les années 1980, le graff conquiert le marché de l’art, le tag glissant alors du mur à la cimaise, du public au privé. L’Europe est à son tour touchée par le phénomène dans les années 1970 mais ne commence à être médiatisée qu’une décennie plus tard. Au Mucem, l’intérêt porté au tag et au graffiti accompagna le renouvellement des collections, de la société rurale aux cultures urbaines et interpella le musée sur les questions de création et de culture populaire. Depuis 2000, plusieurs enquêtes-collectes sur le thème du hip-hop, de la danse, du tag et du graff ont été menées. Pour ce dernier thème, 958 objets ont été portés à l’inventaire du musée (panneaux graffés, affiches, autocollants, marqueurs, bombes aérosols, magazines, esquisses, photographies, vidéos, etc.) dont cette poubelle ayant appartenu au graffeur toulousain Truskool. Elle faisait partie de son atelier de 1990 à 2002 et a été taguée par les visiteurs et amis de l’artiste.
- U comme URSS
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Entre 2006-2009, le musée s’est intéressé aux vestiges de l’idéologie politique et sociale qui avait triomphé pendant près d’un siècle dans les pays placés dans l’orbite de l’URSS. De nombreux objets représentatifs du modèle soviétique furent alors acquis, dans le cadre d’une campagne d’enquête-collecte nommée «Paradis socialiste». Son but était en effet de montrer de quelle manière les gouvernements des pays de l’Est cherchaient, par le biais de la culture matérielle, à réenchanter le quotidien bien terne de leurs administrés. Cette lampe, autocélébrant le régime de Moscou et les victoires du peuple russe dans le domaine de la recherche spatiale, s’inscrit parfaitement dans cette démarche. Lorsqu’on l’allume, la base en plastique transparent rougeoie, de manière à simuler le décollage de la fusée qui orne son sommet. En outre, la base de l’objet déploie en une frise les grandes réussites, selon les dirigeants russes, de l’histoire soviétique : la Révolution de 1917, la conquête de l’espace donc, la paix de 1945, l'électrification du pays, la voie ferrée BAM (Magistrale-Amour-Iakoutie), Lénine et ses enseignements.
- V comme Vlad l’Empaleur
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Vlad Basarab-Tepes naquit en décembre 1431 à Sighisoara, en Transylvanie (Roumanie) et mourut en 1476 à Bucarest. Prince de Valachie et voïvode (commandant militaire d’une région), il a été surnommé par les chroniqueurs «L’Empaleur» en raison de sa cruelle habitude d’exécuter ses ennemis de cette manière peu sympathique: paysans qui se dressaient contre lui ou soldats turcs lors de la guerre qui opposa la Hongrie chrétienne à l’Empire Ottoman. Mais on se souvient surtout de lui sous le nom de Draculea ou Dracula (en roumain «fils du Dragon» d'après l'appartenance de sa famille à l'Ordre de chevalerie du Dragon), grâce au personnage de vampire qu’inventa Bram Stocker pour son roman en 1897. Héros national pendant la période communiste, pour avoir mis en échec l’envahisseur ottoman, le vampire popularisé par le texte de Stocker est devenu une véritable manne économique et touristique pour la Roumanie. De l’icône de farouche combattant de Transylvanie à la peluche à canines pointues vendue à l’aéroport de Bucarest, Vlad l’Empaleur est devenu le symbole de cette partie des Balkans aux yeux du monde entier. Il méritait, à ce titre, de figurer dans les collections du Mucem.
- W comme Walt Disney
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Cet objet fut offert en 1966 par un donateur qui n’était autre que George Henri Rivière, le fondateur du Musée des arts et traditions populaires. Il était accompagné d’une invitation au spectacle «Blanche-Neige et les 7 nains sur glace» joué au théâtre parisien de l’Alhambra le 26 décembre de la même année. Il dit bien l’omniprésence, déjà, de Walt Disney dans le monde du loisir en Europe. Ce groupe en plastique présenté dans son emballage d’origine, souvenir d’une soirée festive grand public, montre tout l’intérêt que portait le père du Musée des arts et traditions populaires aux objets témoins de notre civilisation, aussi modestes soient-ils. Et ce, à une époque où l’ensemble des intellectuels établissaient une distinction très nette entre haute culture, fruit d’une élite, et basse culture, populaire, et partagée par la majorité des Français. Une vision pionnière, donc que le Mucem s’efforce de suivre depuis.
- X comme né sous X
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Le tour d’abandon est un dispositif qui permet à une mère de déposer un enfant nouveau-né, généralement conçu hors mariage auprès d’un organisme (hôpital, services sociaux, églises…) qui le prendra en charge et le proposera à l’adoption. Il consiste en un cylindre ouvrant sur l'extérieur d'un bâtiment et pivotant sur un axe vertical, comme une porte tambour. La mère place son enfant dans le cylindre et tourne celui-ci pour que le petit accède à l'intérieur de l’édifice, puis sonne une cloche afin que les personnes à l'intérieur en soient averties. Pratique connue en Europe depuis le Moyen Âge, elle a été généralisée au XVIIIe siècle. Face à l’infanticide qui menaçait les bébés dont les mères ne pouvaient se charger, le tour d’abandon a été considéré comme un réel progrès. Il existe d’ailleurs encore dans certains pays, comme en Allemagne, sous une forme plus moderne et nettement moins rudimentaire. En France, ces objets furent interdits par la loi du 27 juin 1904. Les femmes depuis conservent le droit d'accoucher anonymement dans les hôpitaux (c’est l’accouchement sous X) et d'y laisser leur bébé. Dès leur suppression, le musée se porta acquéreur de deux tours d’abandon afin d’en garder la mémoire.
- Y comme Yaourt
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Cette bouteille de yaourt à boire fait partie d’un ensemble de 1 300 sacs en plastique et contenants divers (boîtes de fromages, emballages de saucisson, flacons de plastiques pour produits de toilette et d’entretien, barils de lessive, bouteilles d’apéritifs et de vins, et divers flacons de verre) de production industrielle offert au Mucem par André Desvallées, conservateur, muséologue et ethnologue bien connu des musées français. Sa collection, commencée dans les années 1980 témoigne de la vie quotidienne d’une famille nombreuse de 5 enfants, et ce, sur vingt ans. Reflet de la société de consommation dont l’emballage éphémère est l’un des symboles, cette bouteille de yaourt et ses petits camarades de la collection André Desvallées permettent d’aborder plusieurs sujets, par exemple le problème des emballages jetables et donc de la gestion des déchets et le tri des ordures dans notre société contemporaine. Les variétés morphologiques dans les conditionnements permettent également de mieux cerner le goût d’une époque. En effet tous ces objets ont servi de supports à la publicité et à des recherches graphiques et de design. Ils racontent une histoire du marketing à la fin du XXe siècle. A l’heure où l’utilisation du plastique comme matériaux d’emballage est remise en cause, conserver trace de son existence est important.
- Z comme Zizi
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Le phallus est un symbole de virilité et de fertilité depuis l’Antiquité, ses représentations sont devenues en Occident par extension des porte-bonheur. Associé aux satyres et à Priape, dieu de la fertilité ithyphallique (c’est-à-dire au phallus en érection), qui forment le cortège du dieu de la vigne Bacchus, il n’est donc pas étonnant de retrouver cet organe masculin sur des cruches à vin. Depuis la fin du XIXe siècle, la ville portugaise de Caldas da Rainha, située en Estrémadure, est réputée pour sa production de céramiques vernissées. Elle s’est fait notamment connaître pour sa fabrication de pichets phalliques, offerts comme cadeau aux jeunes mariés ou utilisés par les étudiants de médecine au cours de leurs fêtes très arrosées. Aujourd’hui, les quelques artisans poursuivant cette tradition vendent principalement leurs cruches aux touristes visitant le Portugal.