«Vivre au temps du confinement», la collection


En avril 2020, le Mucem lançait une grande collecte participative autour de nos vies confinées. Vous avez été nombreux à y répondre. 

Le Mucem a reçu plus de 600 propositions, encore à ce jour en cours d’analyse, et dont certaines entreront, à la fin du processus d’étude, dans ses collections. Un livret numérique recense l'ensemble des propositions que cet appel aura permis de collecter, et dont voici quelques exemples :

Livret numérique   


Cette collecte fait l'objet d'un traitement dans le cadre de la résidence d'artiste du projet Taking Care cofinancé par le programme Europe creative de l'Union européenne. 
Logo projet Taking Care    Logo creative europe
 

 

Les objets du confinement en vidéo

« Vivre au temps du confinement » lancée par le Mucem au printemps 2020, a réuni plus de 600 témoignages autour de cette expérience à la fois intime et collective. À travers des animations poétiques et énigmatiques, nous mettons en lumière quelques objets, symboles de cette épidémie.

Le Mucem a invité l’artiste Antoine d’Agata à proposer une lecture personnelle de la collecte avec 13 000 photographies que l’artiste a réalisées pendant cette même période, dans l’exposition « Psychodémie », présentée jusqu’au 25 mars 2022 au CCR de la Belle de Mai.

Le livret digital et l’exposition s’inscrivent dans le cadre du projet européen TAKING CARE Project destiné à travailler sur le rôle et les formes d’engagement des musées face aux crises sociales et environnementales en envisageant ces institutions comme des « espaces de soin ». Le projet Taking Care est cofinancé par le programme Creative Europe de l’Union européenne.
Photographie : Pierre Girardin
Habillage sonore : Jeff Aron

 


Faux-col


 

Carine Guimbard, Faux-col en soie,  photographie numérique, 2020 © Mucem

Carine Guimbard, Faux-col en soie, photographie numérique, 2020 © Mucem

Ce faux-col en soie de seconde main, au tissu délicat, à la forme et aux motifs surannés, est pourtant le symbole d’une modernité nouvelle et toute triviale, que la pandémie aura considérablement accélérée : la pratique du télétravail. La donatrice nous explique qu’il est devenu l’accessoire complice de ses journées. Elle l’enfilait avant chaque séance de visio-conférence, faisant basculer en un tour de main son univers privé dans celui du monde professionnel : « c’est l’attribut le plus minimal d’un changement de mode ou de monde », nous dit-elle.

Cols bleus pour les travailleurs dans les ateliers de production, cols blancs dans l’administration : la tenue de travail est règlementée pour respecter des normes de confort ou de sécurité par exemple, ou pour se conformer à des codes sociaux plus diffus mais tout aussi normatifs, comme le costume-cravate des cadres.  Désigner ainsi par métonymie les personnes par un attribut  vestimentaire qui les rattache à une catégorie socio-professionnelle selon le secteur économique de production dans lequel elles exercent montre à quel point ces normes sont ancrées. Si l’habit ne fait pas le moine, il fait en revanche le travailleur et il marque le temps de son activité. On troque le bleu de travail pour les habits endimanchés, ou la chemise blanche soigneusement repassée pour le jogging du week-end. 
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Mais le dress code professionnel se trouve passablement chiffonné par la pratique des visio-conférence, et par le cadrage adapté de son écran d’ordinateur : on peut aller en pantoufles à une réunion, ou faire de la cuisine son bureau. L’espace professionnel et l’espace intime, l’activité et le loisir, la représentation sociale et la vie privée, se trouvent décloisonnés, se confondent, s’hybrident.  Pour le meilleur et pour le pire, et pas seulement sur le plan du style vestimentaire !   
Porter ce faux-col, c’est donc rétablir ce cloisonnement : un petit rituel quotidien qui marque une scansion dans l’écoulement des activités de la journée, qui distingue nos manières de nous comporter et de réguler notre apparence dans des contextes sociaux différents. La règle est consentie, et elle rassure. Le col Claudine, véritablement « vêtement modèle » qui doit son nom à l’héroïne du roman de Colette, est pour les enfants obéissants… mais pas trop. Le faux col se donne ainsi de faux airs sages! Les cartes marines que suggère l’imprimé du tissu, tout en lignes brisées et en couleur pastel et passées, invitent à l’exploration buissonnière d’un monde ancien ou perdu, à une évasion en douceur hors des cadres – de l’écran, du travail, comme du quotidien confiné ! 

 


Junk journal


 

Véronique Gervais, Junk Journal, "Chine", collage sur papier cartonné, 2020 © Mucem

Véronique Gervais, Junk Journal, "Chine", collage sur papier cartonné, 2020 © Mucem

Véronique Gervais, Junk Journal,  "Marseille", collage sur papier cartonné, 2020 © Mucem

Véronique Gervais, Junk Journal, "Marseille", collage sur papier cartonné, 2020 © Mucem

Le printemps 2020 aura lancé une nouvelle mode : celle  du journal de confinement. Les célébrités qui montent sur le podium des médias ou des réseaux sociaux pour s’essayer à ce nouveau style se heurtent alors à des réactions d’ironie voire de franche hostilité : on dénonce l’habillage diapré et auto-complaisant d’une réalité sombre et tragique pour beaucoup. Néanmoins, la polémique ne décourage pas, au contraire. Le confinement suscite spontanément le déferlement des écritures personnelles.  La vie au jour le jour se consigne en pages d’écritures manuscrites ou typographiées, en albums photographiques, en bandes dessinées, en montages vidéo, en chansons, en tableaux exposés sur les murs de son appartement ou de son compte Facebook.  

Voici donc, plutôt qu’un costume haute couture, un junk journal : c’est le nom que la donatrice donne à cet album  entièrement fabriqué avec du matériel recyclé trouvé chez elle. Coutures apparentes, rapiéçage de lambeaux déchirés hétéroclites, assemblage au scotch ou à la colle, plastifiage  sauvage…  Vive le style trash ! « Ce junk-journal, nous dit-elle, m'a permis de canaliser mes doutes sur le confinement, colères et autres, mais surtout de réfléchir à la situation et à mes intentions pour vivre l'après. » Pour construire ainsi le sens à tirer de cette expérience tout à la fois intime et généralisée,  sont accolés des morceaux de vie privée (messages personnels, listes de courses) et des fragments d’écrits publics de différentes natures (coupures de presses, photographies de magazines, extraits de manuels de jardinage, lettres reçues…). La démarche retrouve au fond les origines du journal intime, souvent conçu comme un exercice d’introspection, pour former son esprit à l’examen critique de soi et du monde. Mais ici, le recueillement se fait exutoire : l’expression de soi se perçoit plutôt dans la collision des fragments d’une réalité chaotique et rafistolée !

« Le journal est d’abord une pratique de vie et une pratique d’écriture », nous dit le spécialiste des genres autobiographiques Philippe Lejeune. En l’occurrence, voilà une manière d’écrire sa vie intérieure parce qu’on est réduit à une vie … à l’intérieur.   Quelque part entre le journal d’un voyage immobile, le livre de bord d’une navigation à vue dans les remous d’un quotidien bouleversé, et le carnet de terrain d’un ethnologue s’étudiant lui-même, les journaux de confinement renouvellent le genre  avec une inventivité et une vigueur extraordinaires, pour confectionner à plusieurs voix l’autobiographie inédite d’une époque qui défile à toute allure !
 

Une laisse et un collier


 

Patrick Cayrol, photographie numérique, 2020© Mucem

Patrick Cayrol, photographie numérique, 2020© Mucem

Une laisse et un collier. Voilà deux objets qui symbolisent plus que tout autres la relation de domination qu’est la domestication animale. Pourtant, un de nos donateurs, infirmier  en première ligne, souhaitait transmettre cet objet qui « enlace l’être vivant avec qui [il] a été confiné et qu’[il] remercie du fond du cœur : [son]chien ». La domination s’est faite supplique de liberté, car c’était un privilège pour s’autoriser, de manière légale, une liberté temporaire de circulation. Jamais la « compagnie »,  à laquelle les animaux domestiques sont généralement assignés, ne s’est trouvée plus présente, et plus inversée. 
 
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La présence des animaux a conjuré la solitude quand la « compagnie », justement, manquait cruellement. Si la présence bénéfique des animaux familiers courants comme les chiens et les chats a été évoquée par nombre de donateurs, d’autres sont plus surprenants : certains témoignages évoquent l’observation minutieuse des oiseaux de passage qui animent l’espace extérieur immobile et désert, d’autres décomptent avec une attention bienveillante les êtres vivants qui peuplent l’espace domestique clos, et qu’on considère habituellement comme nuisibles : moustiques, mites, insectes divers… De sorte que l’opposition admise entre sauvage et domestique s’est trouvée quelque peu bousculée. 

Par ailleurs, et de façon paradoxale, c’est la domesticité de l’animal de compagnie qui permettait d’échapper à son espace domestique ! Promener son animal de compagnie figurait en cinquième position des motifs dérogatoires de sortie, attestant de leur importance numérique, et de l’entrée discrète de cette relation singulière entre homme et animaux dans l’espace législatif et politique. On pouvait ainsi circuler légalement grâce son chien,  et parfois aussi, s’autoriser quelques contournements... Si bien qu’on a pu voir circuler sur internet des vidéos de faux chiens dont le bricolage témoignait là encore d’une créativité incroyable. On a même pu observer, dans certains immeubles, des personnes proposer leurs services pour sortir les chiens des voisins et, il faut bien le reconnaître, se sortir eux-mêmes !


 

Pochettes de billets annulés et musée miniature en carton


Arsène Beninca, Musée miniature en carton, photographie numérique, 2020 © Mucem

Arsène Beninca, Musée miniature en carton, photographie numérique, 2020 © Mucem

Isabelle Levy, Pochettes de billets annulés, photographie numérique, 2020 © Mucem

Isabelle Levy, Pochettes de billets annulés, photographie numérique, 2020 © Mucem

Isabelle a 70 ans, vit à 80 km de Paris, aime le spectacle vivant, en particulier la danse et le nouveau cirque. « Privilège d’une retraite aisée », nous dit-elle, elle se rend à plus de cinquante spectacles par an, et consacre son budget de  loisir à ces virées artistiques à Paris.  Elle a disposé ces billets de spectacle sur une table, comme autant de préparatifs de voyages annulés, car pour elle, le théâtre, c’est « partir en vacances ».  

Arsène a 11 ans. Il s’est fabriqué une table de ping-pong, un baby-foot et… un musée. C’est « un musée miniature que l'on peut visiter. Il fait deux étages et tout est en carton découpé, collé et colorié. ». Après le home cinéma, voilà donc le home musée.  Les salles d’expositions, les œuvres accrochées sont reproduites avec une touchante minutie et il y a même, précise Arsène, la Grande Vague de Hokusaï !   
 
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Isabelle ne peut plus sortir de chez elle pour aller au théâtre, Arsène fait venir le musée chez lui. Le confinement, ce sont des sorties limitées dans l’espace public et des activités  quotidiennes limitées. C’est aussi la mise en pause d’une relation entre art et société, entre artistes et publics, entre institutions et usagers.  Car ce que nous montrent ces deux témoignages, c’est le paradoxe de toute activité culturelle: c’est une expérience singulière mais à plusieurs, c’est un moment suspendu d’intériorité partagée dans le même temps et dans le même espace. Alone Together, comme disait Chet Baker !  Ce que nous apprennent ces témoignages, c’est qu’au-delà de la déception personnelle de voir ses habitudes chamboulées, le fait que cette mesure s’applique à tous appelle parfois à penser au-delà de soi.  Pour Isabelle, « le confinement c’est donc une pochette pleine de billets non utilisés, pour lesquels je ne vais pas demander de remboursement afin de participer modestement à la survie des différents artistes que je me préparais à voir ». Et pour Arsène, le musée est avant tout le moyen d’imaginer des visiteurs, petits ou grands, qui se rendront à son musée. 
Nous espérons, pour notre part, pouvoir retrouver notre public et sommes impatients de vous revoir.

 


Chasse aux oeufs imaginaire


 

Benoît Dutour, « Chasse aux œufs imaginaire », tirage photographique, avril 2020, ©Mucem

Benoît Dutour, « Chasse aux œufs imaginaire », tirage photographique, avril 2020, © Mucem

Parfois l’importance d’un objet ne se mesure pas à sa noblesse. Ici l’humour conjure la trivialité de l’espace le plus intime de la maison. 
Transformer notre espace quotidien pour l’adapter aux nouveaux modes de vie imposés par le confinement ne se limite pas aux réaménagements fonctionnels ou décoratifs. Nombreux sont les participants de la collecte à nous avoir envoyé des propositions ludiques de personnages éphémères, inventés pour animer notre univers domestique y compris dans les détails les plus rébarbatifs de notre vie quotidienne, comme par exemple des compositions réalisées avec des poils de barbe tombés au fond de l’évier ou une Joconde masquée peinte sur papier toilette… Ces scènes donnent un tour inattendu au fil des jours qui passent, et convertissent notre espace confiné en espace muséographique, à la manière des « tableaux » qui, comme au théâtre et à l’opéra, ont la fonction d’un intermède, afin de ponctuer l’intrigue banale ou répétitive de l’ordinaire de nos vies.  
 
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 Celui-ci, intitulé « Chasse aux œufs imaginaire » met en scène des chocolats de Pâques  aux dorures rutilantes installés en majesté sur des rouleaux de papier toilette en guise de piédestal. Si les premiers sont habituellement chassés à cette période pascale, les seconds le sont bien moins en principe… et pourtant ! Rappelons-nous au printemps dernier les scènes de razzia, les images télévisuelles capturant le vide des rayons dans les supermarchés ou s’attardant sur les chariots qui débordaient de ce papier devenu soudain si convoité, si précieux, aux côtés de la farine et des pâtes. Souvenons-nous des appels à la modération quelque peu ubuesques lancés à des consommateurs trop prévoyants : car on hésitait, il fallait se montrer raisonnable et ne pas trop se servir, mais on en prenait quand même un peu plus… au cas où…
L’humour tourne ainsi en dérision ce qui est pourtant un signe ou un symptôme récurrent de crise : le réflexe d’achat,  mû par une hantise beaucoup plus sinistre, celle de la peur de manquer, est un véritable indicateur de notre psychologie collective et de la perception par chacun d’une menace. Une crainte de la pénurie qui pourrait n’être que risible, mais qui malheureusement est aussi le reflet des inégalités sociales, car dans les foyers les plus précaires, l’approvisionnement des produits de première nécessité, et notamment des produits d’hygiène, était parfois très difficile.  Comique clinquant et mauvais goût assumés dénoncent avec bonhommie les dérives, tantôt amusantes   tantôt sombres, de la consommation de masse, selon les principes subversifs du kitsch. De quoi chasser… la mélancolie !  

 

Calendrier de confinement


Lili Sohn, Calendrier de confinement, photographie numérique, 2020 © Mucem

Lili Sohn, Calendrier de confinement, photographie numérique, 2020 © Mucem

Ce calendrier a été tenu pendant le confinement du printemps 2020. Chaque case engonce dans son cadre étroit les activités familiales réalisées dans la journée. Le tracé des petites cases devient la métaphore du confinement lui-même, dont l’étymologie renvoie à la finitude, aux limites imposées : c’est l’expérience d’un temps quotidien enserré dans un espace restreint. Barrées  soigneusement à chaque jour écoulé, presque à la manière d’un graffiti carcéral ou d’un journal de maladie, les cases successives mesurent la durée du temps qui passe. Il a fallu en rajouter avec du scotch, à chaque annonce de prolongation du confinement. Cependant, un jour de plus est aussi un jour de moins : chaque croix colorée, tracée d’une manière naïve et joyeuse, rapproche du terme, et, nous dit son auteure, « ca nous fera un bon souvenir quand tout cela sera fini ! » Affiché devant le frigidaire,  comme une liste de course, ce calendrier est tout l’inverse : il ne s’agit pas de noter ce que l’on doit faire, mais ce que l’on a fait.  C’est une manière de placer derrière soi, au passé, la période qu’on est en train de vivre, et de rendre mémorables des événements ordinaires.  
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Vivre au temps du confinement,  c’est donc aussi le mesurer, l’organiser, le séquencer, le remplir quand les repères habituels tendent à s’effacer, et que le temps se dilate, s’étire. Boulot et dodo, mais sans métro, la scansion de la journée perd de sa régularité métronomique. Nous sommes pris dans des perceptions du temps contradictoires : le rythme de l’épidémie marqué par ses courbes ; le temps de l’urgence sanitaire mais dont le dénouement attendu prend la forme d’un horizon toujours différé à la manière des cases vides de ce calendrier ; le temps d’une accélération immobile où la communication à distance nous donne un sentiment à la fois d’ubiquité et de surplace. Les rituels du quotidien que nous inventons pour conjurer ces paradoxes prennent des formes multiples. La collecte a ainsi permis de rassembler de très nombreuses variantes personnalisées de ces éphémérides qui balisent notre quotidien. Journaux de bord écrits, dessinés, filmés et même brodés ; calendriers, agenda, listes et tableaux d’activités présentés sous forme d’affiches, de collages ou de patchworks, de casiers de bois, de séries picturales ou de mobilier décoratif … Le journal intime ou collectif est devenu un véritable genre pendant le confinement, au croisement de l’emploi du temps et de l’autobiographie. La diversité et l’originalité de ces créations est une belle source d’inspiration pour un autre calendrier d’actualité en ce début du mois de décembre : celui de l’Avent ! 

Empreintes de poignées de mains en porcelaine crue


 

Laurie Giraud, Saisies, Empreintes de poignées de mains en porcelaine crue, tailles variables. D'après la photographie d'Isaac Lawrence "Saisie d'écailles de pangolin à Hong Kong", 5 septembre 2018, AFP, 2020 © Mucem

Laurie Giraud, Saisies, Empreintes de poignées de mains en porcelaine crue, tailles variables. D'après la photographie d'Isaac Lawrence "Saisie d'écailles de pangolin à Hong Kong", 5 septembre 2018, AFP, 2020 © Mucem

Cette photographie représente une œuvre réalisée pendant le confinement au printemps dernier,  pour un collectif artistique lancé sur un réseau social, Le journal d’un Pangolin (au temps du coronavirus), qui a rassemblé des créations multiples évoquant ce petit fourmilier : la pandémie conférait alors à cet animal une triste et subite notoriété, l’hypothèse ayant été un temps émise qu’il pouvait être l’hôte intermédiaire de la transmission du virus aux humains. 

Etudiante en arts plastiques, la personne qui a réalisé cette oeuvre est également infirmière à domicile. Elle a demandé à ses proches et à ses patients de prendre l’empreinte de leur poignée de main. Ces empreintes sont semblables aux écailles précieuses d’un pangolin stockées dans de petits sacs. Du métier d’infirmière à celui d’artiste, du geste de soin au geste de création, se lit un parcours de vie tout autant qu’une expérience partagée : celle du contact physique devenu empêché.
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L’homme est un animal doué de langage, nous dit Aristote, mais la linguistique, l’anthropologie, la philosophie ou encore la médecine nous ont aussi appris combien nous joignons le geste à la parole. La pandémie nous aura rappelé cruellement l’importance de cette communication non verbale. Qu’elle soit une simple convention sociale ou un geste intime d’affection, la poignée de main et ses variantes – accolades, embrassades, bises… sont désormais proscrites, au profit des gestes « barrières » de prévention sanitaire.  Révérences, inclination de la tête, mains à la poitrine ou jointes en prière, checks du coude ou des pieds inspirent de nouvelles salutations en traversant les codes culturels, géographiques ou générationnels.  
L’ambivalence de nos gestes, qui renvoient à des attitudes de respect, de soin, de douceur ou au contraire de menaces, risques ou repli se devine dans cette œuvre. La bienveillance du geste de soin consistant à saisir des mains inverse en fait la photographie d’Isaac Lauwrence dont elle est inspirée, beaucoup plus sinistre : car les écailles stockées dans les sacs, ce sont en fait celles d’une saisie douanière record en 2018.  Le pangolin est en effet l’animal le plus braconné au monde pour les vertus supposées thérapeutiques qu’on lui attribue.  Une manière de suggérer ainsi combien les bouleversements imposés au monde animal et aux écosystèmes (trafic illicite mais aussi élevage industriel, déforestation et privation d’habitat naturel,  circulations accélérées,…), au nom de ce que nous associons à notre confort de vie, accentuent pourtant les risques de contamination de l’animal à l’homme à l’origine de bien des épidémies.  


 

Carte de périmètre de sortie


Joëlle Hallou, Carte de périmètre de sortie, photographie numérique, 2020 © Mucem

Joëlle Hallou, Carte de périmètre de sortie, photographie numérique, 2020 © Mucem

Voici le plan d’une ville dont le nom n’est pas précisé. L’échelle de la carte n’est pas non plus indiquée, mais nous la devinons au premier coup d’œil car cela nous parle d’une expérience partagée par tous : le cercle représente le rayon d’un kilomètre autour de son domicile autorisé pour les sorties journalières. Tracé au compas, il évoque nos lointains exercices de géométrie d’écoliers. Déroulé sur la table, en vision surplombante,  le plan du quartier traduit aussi un espace mental, et les perplexités qui ont été les nôtres : le périmètre se calcule-t-il « à vol d’oiseau », selon une expression qui évoque une liberté enviable, ou en fonction d’un parcours au sol permettant de démultiplier comme par magie les distances?  Les accidents du tracé urbain, la toponymie des rues, les équipements de l’espace public balisent les échappées, offrent des points d’intérêt inédits dans l’espace pourtant si familier de notre environnement immédiat.
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Pour la première fois, une épidémie a été partagée par l’ensemble de la planète. C’est la communauté humaine qui s’est retrouvée dans une proximité inattendue face à la propagation du virus, l’échelle est mondiale. Au niveau du territoire national, tout le pays s’est trouvé confiné. Si nos situations personnelles ne sont pas toutes identiques, nous sommes cependant tous contraints dans nos déplacements. Nous partageons tous cela. Mais paradoxalement, ce qui marque ce moment, ce dont on se souvient, ce ne sont pas ces échelles nationales ni mondiales. C’est plutôt le quotidien de l’espace vécu. Chacun a son périmètre, ses balades, ses déplacements, ses tactiques de contournements aussi.  
Est-ce à dire que la multiplication de ces rapports individuels à l’espace a fait disparaître toute communauté sensible entre nous ? Pas nécessairement ! Ce que nous avons partagé c’est l’intériorisation de cette limite, la découverte de l’inexploré et pourtant proche, c’est un autre rapport au quartier, au voisinage et à l’espace public : la marche, les détours, les pauses deviennent l’exercice concret, physique, de nos manières de composer individuellement ou collectivement avec les lois d’urgence.  

 


Jeu de backgammon sur planche à découper


 

Gaëtan Arrondeau, Jeu de backgammon sur planche à découper, photographie numérique, 2020 ©️ Mucem

Gaëtan Arrondeau, Jeu de backgammon sur planche à découper, photographie numérique, 2020 ©️ Mucem

Cette photo présente un jeu de backgammon pyrogravé sur une planche à découper. Les hésitations du graveur témoignent de l’application donnée à sa fabrication. Les pions, sortis de leur petite bourse, sont des bouchons de liège et des capsules de canettes en verre. Des plaisirs du repas à ceux du backgammon, le plateau de fromage est devenu plateau de jeu : la solitude du confinement s’amuse à confondre les sociabilités.
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Le Mucem a reçu plusieurs exemples de créations qui ont permis d’occuper les temps de loisir en s’exerçant à des talents nouveaux. L’activité consacrée à fabriquer un objet prend un tout autre relief. En l’occurrence, l’artisan autodidacte est ingénieur et il a beaucoup joué en ligne à ce jeu, il en a même développé une application virtuelle. Alors même que le confinement nous rive plus que jamais à nos écrans, il a quitté ici l’univers virtuel pour réaliser minutieusement, avec un fer à souder en guise de pyrographe, ce plateau de jeu. La confection du backgammon est le résultat d’une série de détournements et de reconversions : du support (la planche), de l’outil (le fer à souder), du virtuel à la matérialité du bois, de l’activité professionnelle à l’activité de loisir. Car, nous dit son créateur, « j’ai trouvé une grande importance à savoir profiter de l’ennui (…) c’est pour moi une représentation positive de cette période étrange. » Le bricolage réinvente les objets, leurs fonctions dans une liberté et une ingéniosité qui proposent de nouveaux partages.
Ce divertissement est donc, au sens plein du mot, une forme de culture. Car l’action de détourner, c’est justement le sens premier du mot divertissement, qui signifie d’abord détourner un héritage, puis par glissement détourner quelqu’un de ses préoccupations, par exemple en s’exerçant à des choses agréables jugées secondaires ou futiles, comme les jeux. Bien au contraire, le divertissement est essentiel à nos existences, rétorque la philosophie ! Pour Blaise Pascal, il sert à échapper à l’anxiété de notre condition humaine, et pour Roger Caillois, le jeu suspend les usages du réel pour nous permettre de nous retrouver avec d’autres règles et d’imaginer d’autres partages. Cela ne sert à rien et c’est pour cela que c’est si utile.

Sans titre


 

Sébastien Dufeu, Sans titre, tirage photographique, 2020. © Mucem

Sébastien Dufeu, Sans titre, tirage photographique, 2020. © Mucem

Ce photomontage est issu d’une série de variations autour d’un célèbre petit gâteau.  « La madeleine, dit l’auteur de cette image, est si identifiable qu'il n'y a pas besoin de mots pour exprimer ce qu'elle représente, ce qu'elle suggère : une certaine douceur, chaleur et bienveillance liées à l'enfance.» Nombreux ont été les participants de la collecte « Vivre au temps du confinement » à proposer des représentations de passe-temps réconfortants comme la cuisine, mais aussi de créations personnelles qui, à la manière de « l’art pauvre » ou des « arts modestes », animent et ré-enchantent le quotidien en détournant les objets les plus simples de leur fonction première : nous les regardons autrement, nous voyons autrement et nous nous voyons autrement avec eux. La rue n’est plus la même vue par une madeleine, et cette madeleine à sa fenêtre, c’est aussi nous.
 
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Ronde, espiègle, sur la pointe de ses pieds de raisin, elle regarde par une fenêtre, une limite qui nous sépare de l’extérieur, mais aussi qui nous relie à lui, dans un mélange de mélancolie et de curiosité. Cette ambivalence des seuils, limites entre l’intérieur et l’au-dehors, a été soulignée de multiples façons dans la collecte : l’horizon est borné, mais le regard est plus aigu, les objets détournés de leur usage nous défamiliarisent, pour interroger notre relation à l’extérieur et notre relation à nous-mêmes. Ils deviennent des révélateurs. 
La madeleine de l’écrivain Marcel Proust est désormais proverbiale : c’est la dégustation d’une pâtisserie qui fait ressurgir de manière involontaire le passé, c’est l’émotion provoquée par un objet banal ou une sensation anodine qui déclenche « l’édifice immense du souvenir », et restitue une vérité enfouie. A la manière de la madeleine, les objets d’un musée conservent eux aussi une mémoire sensible, à la fois intime et collective. Ils ne révèlent pas une vérité absolue, mais ils suggèrent un nouveau point de vue, de nouvelles interrogations sur l’expérience du confinement : c’est pour regarder et pour s’interroger ensemble que le Mucem a lancé cet appel à dons.