Terre de A à Z
Mucem, fort Saint-Jean—
Salle des collections
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Du mercredi 9 novembre 2022 au lundi 17 avril 2023
Sur le principe de la vitrine « De la terre au pot », cette exposition explore les formes et leur permanence, les gestes et techniques, ainsi que la virtuosité des artisans.
« A » comme « argile », « B » comme « barbotine », « C » comme « carreaux », « D » comme « Delft »… L’exposition « Terre de A à Z » déploie son abécédaire en 26 lettres, composé à partir des collections du Mucem.
La terre est à la fois l’un des premiers et l’un des plus anciens matériaux mis à la disposition de l’homme : la céramique, dont le nom vient du grec ancien kéramos (signifiant « terre à potier » ou « argile »), fut le premier art du feu, bien avant le travail du verre ou du métal.
C’est avant tout la terre qui est au fondement du travail de la céramique ! Ensuite, à l’aide de l’eau, les mains de l’artisan la travaillent afin de la rendre plus malléable, de la modeler et de la mettre en forme. Puis l’air intervient et enveloppe les pièces lors du séchage. Enfin, le feu vient révéler les couleurs et les transparences, et apporte la touche finale aux céramiques, un résultat parfois surprenant…
Parce qu’elle associe les quatre éléments, l’eau et la terre, le feu et l’air, la céramique s’est très tôt chargée d’une dimension symbolique.
Sur le principe de la vitrine « De la terre au pot » (autrefois présentée dans la galerie culturelle de l’ancien musée national des Arts et Traditions populaires), cette exposition explore les formes et leur permanence, les gestes et techniques, ainsi que la virtuosité des artisans qui provoquent ces métamorphoses et élaborent ces créations.
—Commissaire :
Françoise Dallemagne, chargée de collections et de recherches, Mucem
Avec le soutien des amis du Mucem
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Entretien avec Françoise Dallemagne, commissaire de l’exposition
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Mucem (M.) Cette exposition traite donc d’un art particulièrement bien représenté dans les collections du Mucem, celui de la céramique…
Françoise Dallemagne (F.D.) Cet abécédaire souhaite mettre en lumière les collections de céramiques populaires du Mucem, très riches et variées, héritées à la fois du musée national des Arts et Traditions populaires et de la collection européenne du musée de l’Homme. Ces collections ont bénéficié aussi de l’élargissement de nos collections à l’aire géographique méditerranéenne avec des acquisitions de terres cuites du Maghreb notamment ou égyptiennes. C’est un abécédaire qui se veut didactique, parlant aussi bien techniques que gestes, matériaux que provenances, formes que styles ; sans oublier les usages que nous faisons de toutes ces céramiques réalisées à partir de la terre que nous foulons. Seront présentés aussi des objets plus inattendus, de la statue de saint Prothais en faïence nivernaise du XVIIe siècle au calvaire en grès signé des potiers Marie-Louise Talbot et Jean-Joseph Chameron ; mais aussi de l’épi de faîtage en forme de coq à la tuile faîtière en forme de cavalier, et des céramiques alimentaires à celles, hygiénistes, dont nous nous servons tous les jours.
M. Quels sont les champs chronologiques et géographiques couverts par cette exposition ?
F.D. Les collections de céramiques présentées dans l’abécédaire sont à l’image des champs géographiques et chronologiques couverts par le Mucem. La pièce la plus ancienne est une amphore grecque provenant de Mytilène à la lettre « A », non pas comme « amphore », mais comme « argile », car c’est avec l’argile que tout commence. Cet objet nous permet en outre de parler des permanences de cette forme dans les productions utilitaires en terre plus récentes, que ce soit des terres cuites fabriquées en Kabylie ou des cruches pour transporter l’eau dans l’Alentejo portugais.
En ce qui concerne le champ géographique, l’Europe est largement représentée, ainsi que le pourtour méditerranéen, et l’abécédaire fait une incursion jusqu’en Iran où des pièces en céramique de la collection Ziva Vesel témoignent de pratiques populaires et traditionnelles chiites, avec la figure cosmogonique de la Dame Soleil entourée de poissons.
Montrer ces collections de céramique au Mucem était une évidence. Marseille, et plus largement la Provence, est en effet une terre de céramique, avec le site de production aujourd’hui disparu de Saint-Jean-du-Désert, ou plus anciennement le quartier de Sainte-Barbe, les productions en faïence de la veuve Perrin ou encore les incontournables santons et poteries d’Aubagne. Sans parler des faïenceries de Varages, de Salernes, de Moustiers-Sainte-Marie, et bien sûr, de Vallauris.M. Sur un plan personnel, quels sont les objets présentés qui vous tiennent le plus à cœur ?
F.D. J’ai d’abord un faible pour cette cruche médiévale trouvée lors de fouilles dans un quartier de potiers en Allemagne, parce que je suis médiéviste, mais aussi parce que l’objet, déformé lors de la cuisson, est finalement très émouvant. Il s’agit d’un « raté de cuisson », pour la lettre « R », qui montre que l’artisan même le plus expérimenté n’est pas infaillible et qu’il faut faire preuve d’humilité devant la matière.
Les carreaux de céramique présentés à diverses lettres de l’abécédaire, notamment « C » comme carreaux ou « Q » comme Qallaline, nom d’un quartier de potiers de Tunis, sont aussi des objets du quotidien qui décorent toujours nos intérieurs du sol aux murs. Les carreaux ukrainiens, créations d’artisans hutsuls pour un décor de poêle, sont une merveille de gaieté, de joie de vivre et de virtuosité qui contrastent avec le terrible conflit actuellement en cours dans cette partie du monde. Les carreaux de Qallaline produits en Tunisie pour décorer la demeure de Charles Lutaud, gouverneur d’Alger, sont une synthèse de plusieurs influences stylistiques présentes en Méditerranée à cette période, à la fois la céramique ottomane d’Iznik, la céramique catalane et la majolique. On peut envisager à travers ces carreaux fabriqués au XVIIIe siècle en Tunisie les circulations commerciales existant en Méditerranée puisqu’ils étaient exportés jusqu’en France ou en Italie.