Migrations divines
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Du mercredi 24 juin 2015 au lundi 16 novembre 2015
Le Mucem apporte un nouveau regard sur les grands polythéismes de l’Antiquité, à travers une collection d’œuvres et d’objets archéologiques exceptionnels prêtés par la Fondation Gandur pour l’Art et les Musées d’Art et d’Histoire de Genève.
Cette nouvelle exposition se concentre sur trois bassins de civilisation en Méditerranée – l’Égypte, la Grèce et Rome – au sein desquels les hommes ont différemment imaginé des dieux et élaboré des panthéons aux caractéristiques propres à chaque culture. L’exposition présente notamment des objets rituels et des images de culte, qui ont permis aux Anciens de se représenter le monde du divin ou de participer à leur quête d’immortalité.
Loin d’être des expressions religieuses isolées et figées, les cultes de ces panthéons se sont croisés au cœur de la Méditerranée. Favorisés par le commerce et parfois les conquêtes militaires, les échanges matériels et intellectuels entre les civilisations antiques ont façonné des formes théologiques renouvelées.
Migrations divines présente un peu plus de 200 œuvres antiques (datant du IIIe-IIe millénaire avant notre ère au IIIe siècle après J.-C.), qui témoignent de l’adoption de divinités venues d’ailleurs ou de la formation de nouvelles formes divines métissées. Elle interroge le dialogue entre les panthéons égyptien, grec et romain, dans leurs pratiques, croyances et représentations du divin.
Exposition temporaire, organisée conjointement par le Mucem et la Fondation Gandur pour l’Art, avec la participation exceptionnelle des Musées d’Art et d’Histoire de la Ville de Genève.
Commissaire générale : Myriame Morel-Deledalle, conservateur en chef du patrimoine, responsable du secteur Histoire au Mucem
Commissaires associés : Jean-Luc Chappaz, conservateur en chef responsable du domaine Archéologie des Musées d’Art et d’Histoire de la Ville de Genève, et Dr Robert Steven Bianchi, conservateur en chef collection Archéologie pour la Fondation Gandur pour l’Art, Genève
Scénographie : Sylvain Roca
Parcours de l'exposition
Introduction
Dans l’espace méditerranéen, la circulation des hommes par le biais des relations maritimes, commerciales ainsi que les conflits et les conquêtes militaires a grandement favorisé les échanges interculturels. En matière religieuse, les religions polythéistes se sont ainsi montrées accueillantes avec les dieux des civilisations étrangères, au point d’importer de nouveaux cultes et de voir apparaître de nouvelles formes divines.
Panthéons
La notion de panthéon, ou ensemble de dieux dont une religion célèbre le culte, recouvre des réalités différentes d’une civilisation à l’autre. Celui des Égyptiens n’est pas organisé selon une hiérarchie, mais sur la base de quelques principes dont le premier suppose que le roi est le seul intermédiaire humain qui puisse s’adresser aux divinités.
Le monde grec, lui, a eu besoin d’organiser des généalogies et des familles : les dieux sont, en fait, à l’image de l’homme, représentés la plupart du temps sous des traits humains, munis d’attributs particuliers qui identifient leurs pouvoirs. Ils sont organisés en famille : depuis Zeus, le dieu des dieux, dont l’équivalent romain est Jupiter, toute une généalogie est déclinée qui permet d’annoncer l’organisation du monde.
Représentations divines
Une divinité est une puissance surhumaine. En Égypte, sa représentation se traduit par des métaphores issues de la nature : agressivité de la lionne, regard acéré du faucon, venin paralysant du cobra. Tour à tour, ces images évoquent la force, la supériorité ou la sollicitude divine. Ce jeu d’images conduit à exprimer le divin par des créatures hybrides. En Grèce ou à Rome, les représentations hybrides se limitent au monde de la nature. À l’opposé, les divinités de l’univers dit « civilisé » empruntent une forme humaine ; elles sont identifiées par un attribut emprunté aux évocations mythologiques (foudre de Jupiter, trident de Poséidon, etc.).
La section intitulée Panthéons propose des portraits de déesses et dieux des religions égyptienne, grecque et romaine. Leurs formes et apparences peuvent également surprendre, telle la momie de chat de 39 cm de hauteur, dont la radiographie met en évidence la réalité du contenu : un minuscule squelette de chaton et du remplissage. Ainsi faut-il y voir, non pas une préoccupation de conserver un corps de chat, mais davantage une volonté de figurer l’image de ce qu’il représente : ici la déesse-chatte Bastet.
Héros
Dans la mythologie grecque, les héros sont nés d’un dieu et d’un mortel, qui ont obtenu l’immortalité grâce à une intervention divine. Sont également héros ceux qui ont accompli des actes grandioses pour le bien de leur peuple, comme Héraclès, Achille, Dionysos. Sont également considérés comme héros : des fondateurs de villes (oïkistès) comme Battus de Cyrène (Libye) ; des guerriers tel Léonidas de Sparte mort au défilé des Thermopyles ; ou des personnages aimés des empereurs comme l’Antinoüs d’Hadrien.
Parmi les dieux grecs, c’est Dionysos qui est le plus souvent représenté dans l’exposition, avec 15 œuvres, telle cette tête archaïque en marbre.
L’homme en quête d’éternité
Qu’est-ce que la durée d’une vie humaine en regard de celle des civilisations ? Qu’en était-il dans l’Antiquité, période où l’espérance de vie était beaucoup plus faible qu’aujourd’hui ? Plus ou moins modestement, de nombreux individus espèrent laisser trace de leur existence pour la postérité : sculptures, peintures ou noms reproduits sur des monuments en appellent au souvenir des générations nouvelles. Aux images idéalisées des corps et des visages saisis dans l’expression de la jeunesse, aux traits individualisés – mais pas nécessairement ressemblants – succèdent dès l’époque romaine des portraits réalistes véhiculant souvent une image politique. Mais l’art exprime plus souvent encore le regard que les élites portent sur leur propre société.
Divinisation
Chaque pharaon défunt est assimilé à Osiris et son successeur à Horus, leurs courtisans restant leurs serviteurs. Au fil du temps, on observe une démocratisation des croyances qui permet à chacun de prétendre au statut d’Osiris et de bénéficier d’un culte funéraire. De rares sages sont les objets d’une vénération posthume. En Grèce ou à Rome, les exploits d’Alexandre ou de César conduisent leurs biographes à les déifier, et leurs successeurs à revendiquer cette généalogie divine. Ils prennent place aux côtés des héros mythologiques et légendaires.
Un exceptionnel relief de Tell el Amarna, datant du XIVe siècle avant J.-C., montre, sous les pieds illustres d’Akhenaton et de Néfertiti, des séries d’offrandes de mets et de boissons.
Rites et pratiques funéraires
La momification vise à conserver une enveloppe charnelle pour abriter les énergies vitales qui ont temporairement abandonné le corps au décès. L’usage des sens lui est rendu lors des funérailles et l’évocation du nom, comme l’apport d’offrandes, assure la survie éternelle du défunt égyptien. En Grèce ou à Rome, le défunt gagne les Enfers en barque, d’où l’habitude de placer une pièce de monnaie dans sa bouche pour payer le passeur. Selon les époques, les corps sont inhumés ou brûlés, les cendres soigneusement recueillies et déposées dans une urne.
Par le choix d’un décor de scène dionysiaque pour un sarcophage, un Romain emportera avec lui un espoir de renaissance.
Renaissance et résurrection
Osiris, sauvagement assassiné mais revenu à la vie grâce à l’amour et à la magie d’Isis, focalise l’espérance des Égyptiens. Il suffirait à chacun d’avoir mené une existence conforme à l’idéal du dieu pour retrouver la plénitude de son existence terrestre dans l’au-delà. Cette nouvelle existence passe certes par la mort, mais celle-ci est conçue comme une seconde naissance, à l’image de celle d’Horus ou du retour quotidien du soleil. Les Enfers gréco-romains sont dominés par un éternel ennui. Mais le mythe de Dionysos, né deux fois, ou celui d’Osiris, triomphant de la mort, pénètrent peu à peu les croyances. Dès le IIe siècle de notre ère, l’espoir d’une destinée posthume est renforcé, notamment sous l’influence des adeptes du culte de Mithra et des premiers chrétiens.
Dionysos et le cortège dionysiaque
Dionysos est le fils du dieu grec Zeus et de la mortelle Sémélé. La déesse Héra, épouse jalouse de Zeus, suggéra à Sémélé de demander à ce dernier d’apparaître dans sa majesté. Ce qu’elle fit et qui entraîna la mort de Sémélé foudroyée par le dieu. Sémélé étant enceinte, Zeus retira le fœtus de son corps et cousit l’enfant dans sa cuisse jusqu’à sa complète gestation : c’est ainsi que le héros est réputé être né deux fois. Symboliques de la renaissance après la mort, les thèmes dionysiaques se trouvent souvent associés au funéraire.
Rencontres et échanges
L’homme circule dans le bassin méditerranéen depuis qu’il s’y est installé à l’époque néolithique. Par le biais du commerce ou de la guerre, les hommes ont véhiculé leurs cultures, leurs langues, leurs religions. L’empire conquis par Alexandre le Grand (356-323 avant J.-C.) a largement élargi le territoire méditerranéen et son ère d’influence culturelle s’étend ainsi jusqu’à l’Indus. Dans ce contexte, les contacts religieux sont nombreux et les divinités des religions égyptienne et grecque subissent des métamorphoses. Davantage ouvert aux influences de toutes ses rives, l’Empire romain accueille une plus grande mixité religieuse : la soldatesque romaine découvre des cultes nouveaux qu’elle adopte et rapporte dans son pays d’origine.
Cultes orientaux
Parmi les cultes originaires d’Orient qui se répandent d’abord en Grèce puis dans l’Empire romain, figurent Cybèle et Attis, Artémis d’Éphèse, et Mithra. Cybèle et Attis sont originaires d’Anatolie centrale (Turquie actuelle). Déesse Grande Mère, effigie de la fécondité et probable héritière des idoles primitives, Cybèle sera transformée en une Artémis orientale, dont le culte principal se trouve à Éphèse. D’origine indienne ou iranienne, Mithra est adopté par les nombreux soldats romains des fronts orientaux, qui le ramènent jusqu’aux confins germaniques de l’Empire.
Syncrétismes
Dans le processus des échanges entre les hommes en Méditerranée, la part des rencontres religieuses est importante. Négociants, commerçants, soldats sont appelés à vivre longtemps dans ces contrées lointaines de l’Empire où l’un des moyens d’intégration est la religion. La rencontre avec des cultes inconnus, qui peuvent ouvrir à d’autres valeurs, conduit à des intégrations, superpositions voire métamorphoses des cultes d’origine. Ainsi, le culte oriental de Mithra est un exemple particulièrement illustré, avec les nombreux sanctuaires (mithraeum) qui lui sont dédiés, découverts en Europe.
Triade alexandrine
Certaines divinités égyptiennes ont connu une importante diffusion dans le monde gréco-romain, en particulier Isis, sous une forme hellénisée. Le cas du dieu Sarapis a longtemps été compris comme une invention des Ptolémées, héritiers d’Alexandre le Grand en Égypte : une sorte de fusion des dieux grec Hadès et égyptien Apis (ou Osiris-Apis), un symbole du rapprochement des deux peuples. Il s’agit plutôt d’un dieu grec, une interprétation d’Osiris pourvu d’une nouvelle famille dite « isiaque » avec son épouse Isis et Harpocrate, l’enfant divin, tous deux empruntés à l’ancienne tradition pharaonique. Cette création symbolise alors une Égypte devenue grecque.
De même, l’Égypte, hellénisée depuis la création d’Alexandrie par Alexandre le Grand, a mené à son apogée cette faculté de proposer aux Égyptiens, héritiers des anciennes dynasties pharaoniques, de nouveaux dieux façonnés à la sauce grecque. Qu’on l’appelle « syncrétisme », influence, fusion, ce phénomène conduit à l’imbrication des divinités et à la superposition de leurs identités. La création par les Ptolémées du dieu Sarapis en est un des exemples les plus remarquables : il incarne l’Apis et l’Osiris des Égyptiens, il symbolise le nouveau pouvoir des héritiers grecs d’Alexandre en Égypte.
Ayant progressé vers l’est en suivant Alexandre le Grand au IIIe siècle avant notre ère, ses héritiers restés sur place ont découvert la culture bouddhique, et transmettant leur esthétique hellénique, ont contribué à créer un nouveau style, celui du Gandhara en Inde et au Pakistan. Le portrait de Vajrapani-Héraclès en est un magistral exemple : protecteur de Bouddha, Vajrapani a été associé à Héraclès pour ses valeurs de puissance.
Partenaires et mécènes
Cette exposition est rendue possible grâce au soutien de la Fondation Stavros Niarchos.