Jean Genet, l’échappée belle
Mucem, fort Saint-Jean—
Bâtiment Georges Henri Rivière (GHR)
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Du vendredi 15 avril 2016 au lundi 18 juillet 2016
Il y a trente ans disparaissait Jean Genet, le plus flamboyant et le plus rebelle des écrivains du XXème siècle. A ce poète de la liberté et de l'ailleurs, qui commença son œuvre en prison et l'acheva sur les rives du Jourdain, le Mucem rend hommage par une exposition qui s'enracine dans ce territoire qu'il aimait plus que tout autre, la Méditerranée : point de fuite de l'Europe et ouverture sur l'Afrique et le Moyen-Orient. Pôle magnétique de sa trajectoire, la Méditerranée offre à Genet la chance d'une "échappée belle".
C’est l’histoire d’un homme qui, dès l’âge de treize ans, brûle de quitter l’Europe et la France. Il veut partir pour l’Egypte, l’Orient, l’Algérie, l’Afrique. « Mon enfance, dit-il, a rêvé de palmiers ». Mais il rêve trop fort, fugue, fraude, s’évade, s’engage dans l’armée et déserte, vole enfin. On l’arrête, on le ramène à Paris, on le place en maison de correction, puis en prison.
C’est un délinquant, un homme sans attache, sans père ni mère, sans domicile ni patrie, sans feu ni lieu, mais il possède une arme : la langue française.
Dans sa cellule de la Santé ou de Fresnes, avec un certificat d’études et un livre de grammaire pour tout bagage, il commence à écrire ses premiers poèmes, ses premiers romans.
Avec son enfance abandonnée, sa solitude, ses prisons, ses souvenirs d’errances misérables à travers l’Espagne et l’Europe en quête d’ailleurs, avec le désastre de sa vie, il compose l’une des œuvres littéraires les plus flambantes de la littérature française, retrouvant dans la poésie une patrie hors territoire : « la France, écrit-il dans Journal du voleur, est une émotion qui se poursuit d’artiste en artiste».
Commissariat : Albert Dichy, directeur littéraire de l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC), Emmanuelle Lambert, écrivain, directrice d’ouvrage du catalogue de l’exposition (coédition Mucem-Gallimard)
Scénographie : Olivier Bedu, Struc Archi
En partenariat avec l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC).
Avec la participation de La Fondation d'entreprise La Poste, mécène du catalogue de l'exposition.
L’exposition donne à voir les déambulations réelles et imaginaires de Genet, depuis ses premières fugues adolescentes vers le Sud, jusqu’à la fin de sa vie au Maroc. Ecriture, vagabondages, engagements, amitiés et témoignages sont ici rassemblés autour de la figure du seul artiste que Genet ait jamais admiré : Alberto Giacometti.
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Genet en marche
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L'exposition invite à suivre le chemin de Genet à travers trois salles distribuées autour de L'Homme qui marche de Giacometti, considéré aujourd'hui comme l'une des sculptures les plus célèbres du vingtième siècle. Placé en son centre, il voisine avec deux autres œuvres de Giacometti : son célèbre Portrait de Jean Genet, issu des collections du Centre Pompidou, et un dessin au crayon de la tête de Genet.
Placer la relation unique de Genet à Alberto Giacometti au cœur de l'exposition, c'est rappeler que les trois espaces de l'œuvre ici présentés, reflétant l'aventure du voleur, du dramaturge et du politique, ne sont articulés, nourris, reliés que par une relation profonde à l'art. C'est en artiste et en poète que Genet traverse délinquance, théâtre, ghettos noirs d'Amérique et camps palestiniens de Jordanie et du Liban.
Les commissaires ont choisi d'assumer la part littéraire d'une telle exposition en entrant dans les territoires de Genet à travers ses livres, rythmant son parcours avec trois chefs-d’œuvre ancrés dans une région méditerranéenne : Journal du voleur, Les Paravents et Un Captif amoureux. A eux trois, ils traversent la vie de Genet, les genres littéraires qu'il a abordés et bouleversés, et sa géographie d'élection – Espagne, Maghreb et Moyen-Orient, et esquissent sa tentative d'échapper au monde occidental tout en donnant à la littérature quelques-uns de ses plus beaux livres.
Les trois manuscrits de ses œuvres capitales, ainsi que les premières notes de Quatre heures à Chatila et l'incroyable dispositif scriptural de La Sentence sont exceptionnellement réunis et présentés en vitrine au centre de chaque salle dont les murs renvoient, quant à eux, au dehors et au contexte de l'œuvre. Celui-ci est constitué par des œuvres d'artistes, des photographies d'époque, des documents biographiques exposés pour la première fois, des éléments de contextualisation historique ainsi que des témoignages filmés.
Le parcours de l’exposition est organisé en trois thèmes dont chacun fait se croiser un moment de sa vie, une de ses œuvres, et un territoire méditerranéen :
Parcours de l'exposition
— Le Journal du voleur - L’Espagne
La salle 1 est consacrée au Journal du voleur, livre qui retrace les années de fugue, d'errance, de désertion et de vol de Genet, et qui est baigné par la lumière de l'Espagne. Elle commence avec les circonstances de la naissance de Genet : récemment retrouvées, les lettres originales et déchirantes de la mère de Genet abandonnant son fils contre son gré à l'Assistance publique ont été exhumées et constituent l'entrée de l'exposition. Un mur d'images et d'archives reproduit le parcours biographique de Genet dans les services de l'Assistance, de la psychiatrie infantile, des tribunaux, de l'armée, de la justice et de la médecine militaire, des prisons et enfin, des Renseignements généraux – retraçant le mouvement qui mène Genet de l'Assistance publique aux cellules où il commence l'écriture de son œuvre.
On trouvera la toute première lettre écrite par Genet à l'Assistance publique, la trace de ses fugues et le rapport du psychiatre de la prison militaire du fort Saint Nicolas de Marseille (en face du fort Saint Jean du Mucem où se tient l'exposition) où Genet fut incarcéré puis jugé pour désertion en 1938.
Une œuvre d'Ernest Pignon-Ernest, qui a exceptionnellement accepté de venir coller à l'intérieur de l'exposition, rend hommage au Genet des premières années.
— Les Paravents - L’Algérie
La salle 2 est une entrée dans le théâtre de Genet à travers ce qui restera à la fois comme l'une des pièces les plus importantes de notre temps et l’un des plus grands scandales théâtraux du vingtième siècle : la création parisienne des Paravents.
Si la guerre d'Algérie, terminée depuis quatre ans seulement lorsque Roger Blin et Jean-Louis Barrault montent la pièce à l'Odéon-Théâtre de France, n'est jamais nommée, le spectacle a néanmoins été perçu comme une ode à la révolution algérienne. Maquettes des costumes réalisées par André Acquart, photographies de la création et des manifestations monstre devant l'Odéon, témoignages filmés de Jean-Louis Barrault et de Maria Casarès, qui jouait la Mère, entourent l'une des toutes premières versions du manuscrit ainsi que les exemplaires de travail de Roger Blin et de Genet. Les Paravents constituent l'apogée de la trajectoire théâtrale de Genet avant sa disparition et son échappée de la scène littéraire durant vingt-cinq ans.
— Un captif amoureux - La Palestine
La troisième salle est consacrée à la dernière séquence de la vie de Genet qui va durer quinze ans : celle de son accompagnement des Black Panthers américains et surtout des Palestiniens qui fournira la matière poétique de sa dernière grande œuvre, retrouvée dans la chambre d'hôtel où Genet est mort et qui fut peut-être le plus heureux de tous ses livres, Un captif amoureux. Les manuscrits de La Sentence et du Captif amoureux, exposés pour la première fois, ainsi que les brochures du Black Panther Party et du Groupe d'Information sur les prisons, sont encadrés par deux murs, l'un de photographies et l'autre de vidéos. Ainsi le reportage sur les camps palestiniens de Jordanie réalisé par le photographe Bruno Barbey dans les années soixante-dix et commenté par Genet pour la revue Zoom fait face aux reportages télévisés sur les massacres des civils palestiniens à Sabra et à Chatila, à l'œuvre vidéo de Carole Roussopoulos montrant Genet lisant un texte en faveur d'Angela Davis, ainsi qu'aux témoignages de proches dont Leïla Shahid, avec qui Genet, premier témoin occidental des massacres, entra dans le camp de Chatila. Une photographie de l'artiste Didier Morin, montrant la tombe de Genet dans le petit cimetière espagnol de Larache, au Nord du Maroc, sur le bord extérieur du monde occidental où le chantre des dernières révolutions du siècle a trouvé son ultime refuge, ferme le parcours de l'aventure Genet.
Un espace de projection propose enfin au visiteur l'intégralité d’un des très rares entretiens filmés que Genet ait accordés et, sans doute, le plus étonnant de tous : tourné en Grèce par Antoine Bourseiller peu avant sa mort, Genet y revient sur les grands épisodes de sa vie, sur son enfance, la colonie pénitentiaire de Mettray, sa relation à Giacometti, les Black Panthers et les Palestiniens. Il offre une forme de retour en images et en mots sur tout le parcours de l'exposition.