J'aime les Panoramas
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Du mercredi 4 novembre 2015 au lundi 29 février 2016
Massifs de montagne ou côtes méditerranéennes, certains lieux ont la faculté d’offrir à leurs visiteurs des points de vue privilégiés qui procurent le sentiment de dominer le monde, de le posséder voire de s’y dissoudre.
Le mot « panorama » naît une première fois en Angleterre en 1787. Il désigne alors une construction circulaire au centre de laquelle le spectateur se place pour découvrir un paysage ou une scène historique, reproduits de façon illusionniste et qui se déploie autour de lui, à 360°. Il apparaît sous un autre jour, en France, en 1830, où il devient simplement l’expression d’un large paysage, d’une vue étendue. Puis son sens rebondit pour devenir la succession d’images qui se présentent à la pensée comme une vision complète ou l’étude quasi exhaustive d’un sujet…
Ces différentes acceptions traduisent bien tout ce qui se trouve en substance dans le phénomène panoramique : le rôle central du regard, une certaine appropriation du monde qui en découle, le sentiment de dominer une situation par la simple vision large et entière que l’on peut en avoir... En donnant l’illusion de la réalité au point de parfois la concurrencer, les différentes formes de panoramas posent de fait la question de la construction du regard.
L’exposition J’aime les panoramas, fruit d’une étroite collaboration entre les Musées d’Art et d’Histoire de Genève et le Mucem, à Marseille, cherche à montrer comment la notion de panorama dépasse les catégories habituelles de la représentation (beaux-arts, art contemporain, photographie, cinéma, industrie, pratiques amateur…). Issue d’une logique scientifique et militaire avant d’être accaparée par la société du spectacle, l’expérience panoramique pose la question de notre rapport au monde ou au paysage, maîtrisé ou inconnu, au tourisme de masse, à la consommation de points de vue formatés, à l’image comme source de divertissement.
Du premier dessin de panorama déposé par l’inventeur américain Robert Fulton à l’Institut national de la propriété intellectuelle de Paris, en 1799, à 360° room for all colours, de l’artiste danois Olafur Eliasson, réalisée en 2002, l’exposition propose un éventail chronologique large. En réunissant des œuvres d’artistes tels que Jeff Wall, Peter Greenaway, David Hockney, Vincent Van Gogh, Gustave Courbet, Gerhard Richter, Jan Dibbets, François Morellet, Ellsworth Kelly, elle souligne la diversité des propositions artistiques influencées ou marquées par la notion de panorama.
Des relevés photographiques des Alpes à ceux des champs de bataille en passant par les papiers peints, les cartes postales ou les films, registres, médiums et univers se mélangent et renouvellent le regard que nous portons sur le monde et sur la fonction du spectateur.
Exposition temporaire, organisée conjointement par le Mucem avec les Musées d’Art et d’Histoire de Genève.
Commissariat : Laurence Madeline, conservateur en chef, responsable du pôle Beaux-Arts des Musées d’Art et d’Histoire de Genève, et Jean-Roch Bouiller, conservateur en chef, responsable du secteur art contemporain au Mucem.
Scénographie : Adrien Rovero Studio
Graphiste : Camille Sauthier, Atelier Valenthier
Parcours de l'exposition
Naissance d'une exposition
"Cette exposition est née d’un quiproquo autour de la réplique « J’aime les panoramas », prononcée par Jean Dujardin dans le film de Michel Hazanavicius, OSS 117 : Le Caire, nid d’espions. Ces quatre mots ont immédiatement cristallisé par sérendipité les principaux axes de réflexion autour de la notion de panorama. Cette phrase apparaît en effet d’une part comme un lieu commun que tout un chacun pourrait prononcer devant n’importe quel paysage, évoquant contemplation, insouciance et plaisir. D’autre part, le fait que cette parole soit prononcée devant le Canal de Suez, en 1955, un an avant sa nationalisation et les conflits subséquents, témoigne de la potentielle dimension géopolitique de toute entreprise destinée à proposer une vision englobante de la réalité. Les panoramas sont affaire de contemplation, certes, mais également d’appropriation, de domination, voire d’aliénation.
La richesse et les paradoxes du sujet se sont imposés en même temps que se sont révélés les intérêts d’un partenariat entre un musée d’art et d’histoire et un musée de civilisations. Chacun apportant sa propre appréhension du savoir, de l’objet, de l’œuvre ; sa perspective depuis des villes comme Genève, ouverte sur des panoramas alpins, et Marseille, dont la géomorphologie offre de nombreux points de vue maritimes. Au fil du projet, il a été amusant de constater que le 100ème des cent escaliers conçus par Peter Greenaway pour son opération Stairs 1, à Genève en 1994, devait être installé à proximité de l’embouchure du Rhône, à Marseille ou non loin."
Jean-Roch Bouiller, conservateur en chef, responsable du secteur art contemporain au Mucem
Laurence Madeline, conservateur en chef, responsable du pôle Beaux-Arts des Musées d’Art et d’Histoire de Genève
1 : Le dispositif panoramique
Le panorama est à l’origine une construction circulaire (rotonde) donnant à voir, dans des conditions particulières (plateforme centrale, éclairage zénithal, couloir obscur, continuité du motif présenté) et contre l’acquittement d’un droit d’entrée, un paysage ou une scène historique.
Ce dispositif a été inventé par le peintre écossais Robert Barker en 1787 et s’est rapidement répandu à la faveur de la vente de brevets déposés dans différentes capitales européennes. Les premiers panoramas exploités étaient alors consacrés à des vues de villes (Edimbourg, Londres, Paris…) très vite relayés par des scènes de batailles.
Cette section rassemble des plans de constructions panoramiques (le brevet déposé par Robert Fulton à l’INPI pour exploiter l’invention de Robert Barker à Paris ; Louis Bonnier, Avant-projet pour le pavillon des Nymphéas) ; des peintures servant d’esquisses à la réalisation de panoramas monumentaux (Jean-Pierre Prévost, Panorama de Constantinople) ; des fragments de panoramas démantelés (Henri Gervex et Alfred Stevens, le Panorama du Siècle, dont certains morceaux ont été découpés dans les grandes toiles panoramiques et transformés en tableaux de chevalet) ; et des affiches qui témoignent de l’économie du spectacle dans laquelle s’inscrivent les panoramas. Elle se clôt avec l’œuvre de Jeff Wall, Restoration, qui met en tension plusieurs notions propres au panorama : architecture ou format de tableau ? Représentation de la réalité ou illusion ?
À propos de Jeff Wall
Les photographies de Jeff Wall consistent en des mises en scènes sophistiquées. Apparaissant comme des scènes de la vie quotidienne prises sur le vif, elles font en fait figurer des acteurs méticuleusement dirigés par le photographe. Avoir fait poser des restaurateurs dans le Panorama Bourbaki, six ans avant sa véritable restauration, souligne l’ambivalence des notions de réalité, d’illusion et de fiction inhérente au principe même de panorama. Le fait de montrer l’envers du décor, le dispositif lumineux de la verrière est une mise en abîme de ce jeu d’illusion.
2 : Le panorama comme relevé
Le panorama relève aussi d’une approche scientifique du monde. Il n’est pas anodin que la représentation circulaire d’un paysage soit inventée presque simultanément en Suisse, par le scientifique Horace-Bénédict de Saussure, en 1776 ; et en Écosse, par le peintre Robert Barker, en 1787. Les démarches de ces inventeurs se justifient et se complètent par cette volonté commune d’identifier un univers dans son entièreté. Pour le premier, il s’agit des Alpes, jusque-là en grande partie, inatteignables. Pour le second, de la ville d’Edimbourg, plus facilement accessible mais en pleine mutation industrielle et difficile, de ce fait, à être saisie comme un tout.
Cette deuxième partie de l’exposition montre que la vision panoramique s’est imposée dans différents types de représentation de la réalité : le relevé géographique (chaînes de montages, Grand Canyon, géographes contemporains), le relevé urbain (panoramas de Marseille, de 1729 à nos jours, d’Istanbul, de Nagasaki...), le relevé militaire (relevés de territoires conquis ou à conquérir, relevés de champs de bataille) ou encore le relevé de mondes inconnus (David Hodges, compagnon des expéditions de Thomas Cook ; assemblages d’images de la Lune par les équipes de la NASA). Les œuvres de Jean-Charles Langlois ou de Jean-Baptiste Durand-Brager, commémorant des victoires de l’armée française, rappellent que le panorama est potentiellement une image de propagande. Celles des artistes contemporains Julien Audebert, Renaud-Auguste Dormeuil et Alexis Cordesse soulignent sa dimension politique.
À propos de Renaud Auguste-Dormeuil
Les photos de la série Hôtels des transmissions - jusqu'à un certain point sont des panoramas de villes reprenant le vocabulaire graphique de la table d'orientation. Mais plutôt que des informations touristiques, l'artiste y repère tous les lieux de pouvoir, bâtiments officiels, infrastructures militaires ou industrielles qui pourraient être les cibles de bombardements ou d'attentats. L'hôtel qui offre le meilleur point de vue touristique sur la ville devient ainsi insidieusement un poste d'observation idéal pour d'autres usages.
3 : La construction du point de vue
Il n’y a de panorama qu’avec la détermination exacte de l’emplacement du spectateur et la définition d’un point de vue sur la réalité. Ainsi existe-t-il tout un ensemble de promontoires, belvédères, terrasses, escaliers, balcons, bancs ou encore d’instruments optiques qui orientent le regard matériellement et concrètement. Les œuvres de Johan Christian Dahl, de Peter Greenaway ou de Juan Muñoz, présentées dans l’exposition, le soulignent. Mais il existe d’autres manières d’orienter le regard, de façon plus suggestive ou idéologique, par exemple, à travers la signalisation de points de vue particuliers, comme les panneaux d’autoroutes, repris comme support de peinture par Bertrand Lavier ou les pictogrammes de belvédères collectés partout dans le monde par Jean-Daniel Berclaz. A mi-chemin entre orientation matérielle et idéologique du regard, le Point de vue portatif, de Philippe Ramette, insiste sur ce paradoxe qui réside dans le fait de vouloir promouvoir un regard libre, ouvert, infini mais qui finit par être dirigé.
À propos de Bertrand Lavier
En détournant les panneaux de signalisation des autoroutes, qui indiquent aux automobilistes les lieux touristiques à voir, Bertrand Lavier entend re-matérialiser des sites historiques ou géographiques qui ont perdu leur sens, et redonner du pouvoir au regard.
4 : Le panorama comme récit
La Tapisserie de Bayeux a été considérée par les historiens comme un précurseur potentiel du panorama du XVIIIe siècle. De fait, la façon de rapporter des événements sur une frise imagée, narrative, voire idéalisée, ou de réunir, dans une seule image, tout un groupe social, s’apparente à la vision panoramique. La conception d’appareils photographiques panoramiques dès 1845, la diffusion de livres dépliables en accordéon appelés leporellos, ont encouragé de multiples entreprises visant à faire tenir dans une seule image des sortes de résumés du monde, des trames narratives qui sous-tendent des représentations de la société ou d’une partie de la société. Tel groupe social, telle association, telle famille se donnent à voir à eux-mêmes sous la forme d’un portrait collectif où chacun se retrouve à la place qui lui est assignée. Le panorama a cette capacité à concentrer, en une image unique, une vision du monde et induit un déroulé narratif, que l’on retrouve dans les parchemins asiatiques comme dans les films au cinéma.
À propos des coloramas
Le Colorama est plus qu’un panorama. C’est un dispositif publicitaire imaginé par la firme Kodak qui fut donné à voir à la gare Grand Central de New York, de 1950 à 1989. Sur une surface de 100 m2, sur une longueur de 18 m, une image géante rétro-éclairée par 1 km de tubes égrenait toutes les trois semaines un spectacle visuel, mis en scène par des photographes, dont Peter Gales. Dans cette gare, les banlieusards new-yorkais ont contemplé quarante ans durant 565 panoramas : incitation à l’achat d’appareils certes, mais surtout vénération de la « vraie image », de l’image parfaite. (D’après François Cheval.)
5 : Le panorama comme substitut
Le goût pour la contemplation de vastes étendues ne prend pas fin lorsque le spectateur n’a pas ou plus accès à ces points de vue tellement recherchés par les voyageurs. Le format panoramique constitue également un moyen de se substituer à ces zones géographiques privilégiées qui donnent le sentiment de dominer le monde. Dès le XVIIIe siècle jusqu’à aujourd’hui, l’installation d’un papier peint panoramique dans sa demeure peut être ainsi interprétée comme une manière d’afficher sa puissance. De nombreux autres objets sont réalisés pour servir de support aux souvenirs générés par la contemplation de panoramas réels.Vedute, cartes postales, dépliants, stylos… témoignent d’une économie de l’objet qui s’empare du tourisme de masse et permettent de partager une expérience panoramique vécue ou de la détourner à un usage personnel. Ces petits panoramas matériels cristallisent les rêves, les fantasmes et les désirs d’évasion.
À propos de Jean-Gabriel Charvet
Apparue à la fin du XVIIe siècle, la production de papier peint se développe après 1750 et connaît un siècle d'apothéose après 1800. Créés en 1804 à Mâcon, par Joseph Dufour, Les Sauvages de la mer Pacifique témoigne de ce savoir-faire et de cet engouement. Un tel dispositif illusionniste permettait de faire rêver à un «ailleurs mythifié», de donner une sensation d'étendue dans des espaces clos et d'afficher la mainmise sur des territoires considérés jusque-là comme sauvages. La manufacture Zuber continue aujourd'hui à produire des papiers peints panoramiques.
6 : L’homme face au grand paysage
L’invention du panorama par Robert Barker en 1787, saluée ou décriée par les artistes de son temps, remet radicalement en question les lois de la peinture, conçue depuis Alberti et l’époque de la Renaissance, comme une fenêtre imaginaire, matérialisée par un cadre. Si le cadre disparait, l’image peut s’étaler sans limite dans des conditions optimales d’éclairage et de vision. La peinture d’histoire et surtout la peinture de paysage sont de fait confrontées à de nouvelles exigences de regard. Cette révolution coïncide avec la période romantique qui envisage le monde dans ses aspects les plus extrêmes, à travers notamment la question du sublime, les plus poétiques et les plus mystiques. Devant les paysages qui s’offrent à lui, l’homme est soit placé dans la position d’un dominé ou d’un dominateur. Il peut étreindre l’univers à portée de sa main, soit s’y dissoudre, fusionner avec l’infiniment grand ou l’infiniment petit, immensités parfaitement restituées à travers des formats panoramiques, jusqu’à l’abstraction géométrique ou colorée. C’est ce double sentiment de domination ou de soumission que traduisent les peintures réunies dans cette partie.
À propos de David Hockney
L’œuvre de David Hockney constitue une forme de résumé de l’exposition : la référence au relevé scientifique du grand canyon effectué par Holmes au milieu du XIXe siècle, la réflexion sur le point de vue, la position du regardeur entre sensation de domination et de fusion dans le grand paysage. Il est aussi, avec la série des panoramas réalisés par l’artiste, une des œuvres contemporaines qui a contribué au renouvèlement du panorama.
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