Abd el-Kader
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Du mercredi 6 avril 2022 au lundi 22 août 2022
Une exposition qui remet en lumière la figure d’Abd el-Kader dans toute sa richesse et son importance historique et intellectuelle
Émir de la résistance, saint combattant, fondateur de l’État algérien, précurseur de la codification du droit humanitaire moderne, guerrier, homme d’État, apôtre… Les épithètes – souvent impressionnantes, mais aussi contradictoires – affluent lorsqu’il s’agit d’évoquer l’émir Abd el-Kader, dont nous avons tous entendu parler. Mais connaît-on assez Abd el-Kader ibn Muhyî ed-Dîn ? A-t-on justement présenté celui qui inspira également de nombreux écrivains français, tels Victor Hugo qui l’appela « l’émir pensif, féroce et doux », Arthur Rimbaud qui le surnomma « le petit-fils de Jugurtha », ou encore le facétieux Gustave Flaubert qui indiquait qu’« “émir” ne se dit qu’en parlant d’Abd el-Kader » ?
L’exposition présentée au Mucem entend remettre en lumière la figure d’Abd el-Kader dans toute sa richesse et son importance historique et intellectuelle. À l’aide des recherches les plus récentes, de sources nouvelles et de collections inédites, elle déroule le fil chronologique de sa vie et explore certains aspects saillants de sa personnalité et de son action. Par-delà les éloges et les critiques, la fascination qu’il continue d’exercer invite à une meilleure connaissance de son expérience d’homme ; une expérience riche d’enseignements pour les générations actuelles et futures.
L’exposition réunit près de 250 œuvres et documents issus de collections publiques et privées françaises et méditerranéennes, dont les Archives nationales d’outre-mer, la Bibliothèque nationale de France, les Archives nationales, le château de Versailles, le musée de l’Armée, le musée d’Orsay, le musée du Louvre, la chambre de commerce et d’industrie Aix-Marseille, La Piscine de Roubaix…
—Commissariat d’exposition et direction d’ouvrage :
Camille Faucourt, conservatrice, responsable du pôle Mobilités et métissages, Mucem
Florence Hudowicz, conservatrice en chef du patrimoine, responsable du département des Arts graphiques et décoratifs, musée Fabre, Montpellier
—Conseil scientifique :
Ahmed Bouyerdene, auteur et chercheur en histoire, spécialiste de la vie et de l’œuvre de l’émir Abd el-Kader
Christian Delorme, prêtre du diocèse de Lyon, auteur, acteur du dialogue interreligieux
—Scénographie : Atelier Maciej Fiszer
Graphisme : Atelier Bastien Morin
Avec la contribution exceptionnelle du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
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Entretien avec Camille Faucourt et Florence Hudowicz, commissaires de l’exposition
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Mucem (M.) Pourquoi le Mucem a-t-il choisi de s’intéresser à la figure d’Abd el-Kader pour cette nouvelle exposition ?
Florence Hudowicz (F.H.) Par sa programmation, le Mucem témoigne depuis longtemps le souci d’explorer et d’exposer l’histoire des relations entre les diverses rives de la Méditerranée, et c’est évidemment le cas pour ce qui concerne le Maghreb et notamment l’Algérie. L’exposition « Made in Algeria », en 2016, a fait date, et le cycle de rencontres « Algérie-France, la voix des objets », qui se tient depuis cinq ans maintenant, marque la volonté renouvelée de travailler sur cette relation entre l’Algérie et la France, en essayant toujours de croiser les regards et les points de vue, les récits de vie personnels avec l’histoire commune.
Camille Faucourt (F.C.) On pourrait penser que le projet s’inscrit dans le cadre de l’anniversaire de l’indépendance algérienne, qui fête ses soixante ans en 2022. Ou encore dans le contexte des tentatives d’apaisement menées par le président de la République autour de l’histoire coloniale entre nos deux pays. Mais ce projet précède toutes ces considérations. L’exposition est née d’une rencontre entre le père Christian Delorme, qui s’intéresse à la figure d’Abd el-Kader depuis une quinzaine d’années, et Jean-François Chougnet, le président du Mucem. Ils se sont vus à Amboise, le lieu de captivité de l’émir, en 2019. Le projet a pris naissance à ce moment-là.
M. Bien que « chef de guerre », l’émir Abd el-Kader apparaît comme une figure conciliatrice entre la France et l’Algérie…
F.H. Il a effectivement œuvré dans un désir de réconciliation, même si en son temps la question ne se posait pas tout à fait dans ces termes. Cela commence cependant par la guerre que la France déclenche en 1830, en faisant capituler la régence d’Alger, puis en étendant la conquête aux autres territoires, par la voie des armes. Abd el-Kader prend alors la tête de la résistance pour les régions de l’Ouest, et cela va durer quinze ans. La supériorité militaire française, qui a été décuplée à partir de 1841, l’amène à déposer les armes en 1847.
Initialement, il avait reçu un enseignement solide pour devenir un érudit religieux, au sein d’une confrérie soufie dans le sud d’Oran. Cette éducation devait faire de lui un homme accompli, tant sur le plan de la théologie, de la philosophie et des sciences que dans la pratique de l’équitation et le maniement des armes. Son père l’emmène jusqu’à La Mecque et Bagdad alors qu’il a à peine 18 ans, le mettant ainsi très tôt en contact avec le monde. Cela fait partie des raisons pour lesquelles ses capacités fascinent les officiers français qui le rencontrent.
Après la défaite et la captivité, il peut enfin se retirer – après un passage par la Turquie – en Syrie, où, en 1860, il contribue activement à sauver du massacre plusieurs milliers de chrétiens à Damas. Son prestige gagne alors toute l’Europe. Dans le même temps, il s’intéresse au chantier du canal de Suez en gestation, après sa rencontre avec Ferdinand de Lesseps, partageant avec lui la conviction qu’en ouvrant une nouvelle voie pour les échanges entre l’Orient et l’Occident, il est possible de rééquilibrer les relations entre ces deux mondes, et d’arriver à une forme d’harmonie. C’est l’aspect visionnaire du personnage. On peut donc dire que, pour son époque, même si on ne pensait pas les choses en ces termes, Abd el-Kader est une figure de la médiation et de la réconciliation. Il a fait l’expérience du dialogue dans toutes ses étapes. Nous espérons d’ailleurs voir l’exposition voyager de l’autre côté de la Méditerranée, pour être présentée en Algérie.M. Que reste-t-il de lui dans la mémoire française ? Et en Algérie ? Dans ces deux pays, les regards sur Abd el-Kader sont-ils différents ?
C.F. L’émir est perçu très différemment dans ces deux pays. En France, Abd el-Kader reste assez méconnu. On peut dire qu’il est tombé dans l’oubli. Et lorsqu’il resurgit, c’est à travers la figure du vaincu qui s’est rallié à « l’esprit français » : une vision un peu datée puisqu’elle nous vient de la seconde moitié du XIXe siècle, et nous a été transmise par les manuels scolaires du siècle suivant, qui le présentaient comme un chef de guerre ayant accepté la légitimité de la conquête, si bien qu’il serait devenu un allié de la France. Il a effectivement eu de bons rapports avec Napoléon III, et les Français ne se sont pas privés de réutiliser cette amitié pour en faire une forme de vassalité : Abd el-Kader serait donc le résistant vaincu qui éprouve une sincère admiration pour la France… C’est cette image d’Épinal qui a subsisté dans l’imaginaire français.
En Algérie, par contre, Abd el-Kader est présenté comme l’émir combattant. Le résistant à la conquête. Le fondateur d’un premier État national. En 1966, le président Boumédiène va faire revenir les cendres de l’émir à Alger, et pour cela, il va organiser une cérémonie en grande pompe : il s’agit alors d’installer le personnage comme une figure centrale de l’histoire algérienne, comme le précurseur de l’identité nationale. Dire de lui qu’il a « fondé l’État algérien », c’est un peu exagéré, mais il est le premier à créer des capitales autonomes, à y rassembler des institutions (dont une bibliothèque), et à battre monnaie… Le tout, hors de l’Empire ottoman. Mais s’en tenir à cela, ce serait oublier toute une partie de sa vie. Comme l’a rappelé Florence Hudowicz, sa formation le destinait à un parcours religieux, et non pas à une carrière d’homme d’État ou de combattant. Après 1860, d’ailleurs, il se rapproche des centres spirituels de Médine, de La Mecque et de Damas. Il poursuit son cheminement de mystique soufie. Il transmet à ses étudiants ses exégèses du Coran, se plonge dans la littérature… Autant de facettes de sa personnalité relativement méconnues en Algérie.F.H. Au XIXe siècle, Abd el-Kader était une personnalité immensément connue en France. Même après sa mort en 1883, il continuera longtemps d’habiter les ouvrages scolaires : jusque dans les années 1930, marquées par le centenaire de l’Algérie française et l’apogée de la France en tant qu’empire colonial. Après l’indépendance de 1962, Abd el-Kader redevient si on peut dire algérien, et le héros fondateur de la nation algérienne. En France il devient difficile d’enseigner l’Algérie. Que peut-on dire de cette figure historique aujourd’hui ? Cette question, de la place de cet homme au cœur de la complexité de l’histoire, a été centrale dans la constitution du projet.
M. L’exposition s’appuie sur les recherches les plus récentes : qu’apporte-t-elle de nouveau d’un point de vue scientifique ? Quelles sont les découvertes, à son sujet, qui vous ont le plus marquées ?
C.F. Cette exposition se tient presque vingt ans après les dernières expositions sur l’émir, qui ont eu lieu en 2003. Entre-temps, les nouvelles recherches de l’historien Ahmed Bouyerdene ont été publiées, et une exposition itinérante proposée par la Fondation Adlania, présidée par le cheikh Khaled Bentounes, a permis de dévoiler des objets inédits liés à l’émir. Ces différents travaux nous ont permis d’aller plus loin quant à l’appréhension de l’homme, bien plus complexe qu’il n’y paraît. Abd el-Kader est un personnage multi-facettes. L’objectif de cette exposition est de rassembler des objets et des archives en nombre, afin de croiser les sources provenant des deux rives de la Méditerranée et, ainsi, d’éclairer ce personnage qui semble avoir eu mille vies. Un homme sans cesse en mouvement, qui voyage beaucoup. Et qui spirituellement, dans son érudition, a constamment appris et évolué. Abd el-Kader était l’un des grands esprits de son temps.
F.H. Ma principale découverte à son sujet, c’est l’ouvrage dont l’écriture a mobilisé une partie de son existence, Le Livre des Haltes, qui est un recueil de pensées et d’expériences dans lequel il se réfère à un grand penseur du Moyen Âge, Ibn Arabi. Un savant musulman d’Al-Andalus. Cette résonance dans le temps long, avec ce lettré du Moyen Âge qui regarde le passé pour penser le présent, demeure fascinante. Ce livre, que nous montrons dans l’exposition dans sa version arabe, est un signe émouvant de ces réseaux et ramifications de pensées et d’échanges qui traversent le temps et l’espace, et se perpétuent. Au début du XIXe siècle, dans un coin qui semblait reculé à des yeux français, on pouvait être et devenir un personnage d’une érudition extraordinaire ! L’Algérie d’avant la France manquait certes de technologies modernes, mais ce n’était pas non plus les « âges obscurs ». Plus généralement, ce qui était passionnant, c’était de chercher, traquer toutes les traces permettant de mieux cerner les contours d’un personnage complexe, dans tous les tableaux, objets et archives que nous avons pu approcher, toutes ces investigations qui nous ont également mises en lien avec de nombreuses personnes donnent toute leur saveur à chacun des objets exposés.
M. Que verra-t-on dans cette monographie sur Abd el-Kader ?
C.F. Nous souhaitions que le parcours de l’exposition reflète la richesse du parcours de l’homme. Nous nous sommes battues pour avoir un ensemble cohérent réunissant une grande diversité d’objets. Notre fierté, c’est d’avoir pu regrouper des œuvres qui n’ont jamais voyagé, comme les tableaux du musée de Versailles, et des archives encore jamais exploitées. Par exemple, les documents conservés aux Archives nationales d’outre-mer nous ont permis d’approcher très finement la période d’internement de l’émir en France, très documentée grâce aux rapports militaires, consignes à destination des soldats, factures, et lettres des visiteurs qui ont pu approcher Abd el-Kader au plus près durant ce moment très difficile pour lui.
F.H. Nous n’avons pas pu faire venir la Prise de la Smala, qui est une toile de 21 mètres sur 5,5 m, conservée au musée de Versailles, beaucoup trop immense pour pouvoir être transportée. Mais nous avons profité en quelque sorte de cette faiblesse pour créer un dispositif multimédia qui permettra au public de se transporter « dans » l’œuvre, et ainsi de voir ce qu’elle montre, et aussi ce qu’elle ne montre pas.
M. En quoi le parcours d’Abd el-Kader a-t-il une valeur d’exemple ?
C.F. C’est un homme qui ne s’est jamais détourné de sa voie de départ, il a toujours été enraciné dans la foi musulmane et ses traditions. Rappelons que son autorité en Algérie était fondée sur la charia, la loi islamique, mais cela ne l’a pas empêché de dialoguer avec des représentants du culte catholique ou avec des membres de la communauté protestante lorsqu’il était emprisonné. Il avait avec eux des débats théologiques très poussés. C’était un homme d’une grande tolérance religieuse. Doté, aussi, d’une réelle clairvoyance politique. Lorsqu’il est à Damas, il voit venir les tensions qui agitent les communautés juives, chrétiennes et musulmanes, il en avertit le gouverneur ottoman de Damas mais personne ne l’écoute. C’est donc lui et ses compagnons qui vont prendre les armes pour défendre les chrétiens. Abd el-Kader avait pris la mesure de l’histoire en marche. Les Européens étaient présents en Orient, il fallait bien travailler avec eux. En intégrant les éléments de la modernité, de la technologie occidentale. Sa personnalité se démarquait clairement dans le monde musulman du XIXe siècle.
F.H. Il a tout d’abord accompli un parcours remarquable, par ses capacités d’action intrinsèques, mais aussi son analyse et sa curiosité, notamment vis-à-vis de la modernité de l’adversaire, qui alimente ses réflexions. Dans l’Algérie de son temps, qui était loin d’être unifiée, il n’a pas toujours su, ni pu, arriver à une alliance généralisée, et son renoncement à la guerre est parfois encore vécu comme une capitulation et une trahison. Pour autant, son histoire exceptionnelle demeure, si l’on en suit toutes les étapes et l’évolution, riche d’enseignement. Enfin sa capacité de négociation, son intelligence des forces et faiblesses des sociétés humaines, et son désir de dépassement des horizons trop proches, ont une valeur d’exemple, dans l’engagement de soi au monde et la curiosité envers les autres.
Propos recueillis par Sandro Piscopo-Reguieg
Éditions
Catalogue d'exposition
Émir de la résistance à la conquête française, fondateur du premier État algérien, précurseur du droit des prisonniers en temps de guerre, homme de paix entre l’Europe et l’Islam, mystique soufi entre tradition et modernité… Le nombre impressionnant des qualificatifs et titres dédiés à l’émir Abd el-Kader (1808-1883) donne un premier aperçu de la richesse du personnage et nous invite à cette double question : que sait-on aujourd’hui d’Abd el-Kader ibn Muhieddine, de sa vie, de son œuvre, et que faisons-nous de son héritage ?
Cet ouvrage, catalogue de la nouvelle exposition qui lui est consacrée par le Mucem, revient sur le parcours de ce personnage complexe, dont il convient plus que jamais de nous inspirer aujourd’hui, de part et d’autre de la Méditerranée.
Directrices d'ouvrage : Camille Faucourt et Florence Hudowicz, commissaires de l'exposition
Avec les contributions de Ahmed Bouyerdene, Christian Delorme, Camille Faucourt, Jacques Frémeaux, Éric Geoffroy, Florence Hudowicz, Ariane James-Sarazin, Michel Mégnin, Paul Mironneau, Amar Mohand-Amer, Lucile Paraponaris, François Pouillon, Tom Woerner-Powell, Thierry Zarcone
Partenaires et mécènes
Avec le soutien de la Caisse d'Epargne CEPAC, la Fondation d’entreprise PwC France et Maghreb et Volotea
Avec la contribution exceptionnelle du Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
Avec le soutien du Musée de l'Armée et de la Bibliothèque nationale de France
En partenariat avec Le Monde, Le courrier de l'Atlas, RFI, France 24, MCD, France Média Monde et France Bleu Provence