Mobilité, métissage et communication
Les collections qui ont trait à la mobilité sont variées et recouvrent la diversité des raisons qui poussent l’homme à se mouvoir. Ces déplacements peuvent faire partie intégrante d’un mode de vie comme chez les nomades, dont la production matérielle s’adapte à cette caractéristique. Ils peuvent au contraire être très circonscrits, comme dans le tourisme. Dans ces fonds sont également inclus tous ces objets qui font voyager en pensée et structurent l’inconscient collectif.
- Plaque muletière
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Situés entre Rhône et Loire et entre Méditerranée et océan Atlantique, les pays du Vivarais et du Velay sont des régions de passage. Hommes et marchandises y circulaient à cheval ou à dos de mulet tant les chemins étaient peu carrossables. Si ce mode de transport a été progressivement abandonné avec le développement du réseau routier et l’essor du chemin de fer à partir du milieu du XIXe siècle, il est auparavant demeuré très actif et organisé en corporations de convoyeurs, notamment pour l’acheminement du vin. La plaque muletière est l’un des symboles de cette ancienne corporation. Elle joue un rôle à la fois fonctionnel et symbolique.
Allant souvent par paire, elles servaient d’œillères à l’équidé. Elles sont généralement en cuivre ou en laiton et mesurent entre 15 et 18 cm de diamètre. Elles sont ornées d’un décor gravé à la pointe ou au ciseau, ou selon la technique du repoussé. Les motifs sont variés mais comportent souvent des signes prophylactiques. Les muletiers attachaient une grande importance à leurs plaques et un mulet n’était jamais vendu avec son harnachement.
Ces plaques muletières sont à rattacher à l’ornementation des animaux que l’on retrouve dans la plupart des civilisations, de manière permanente ou temporaire, pour un moment particulier où le risque est grand, comme la transhumance par exemple. Bouquets de fleurs multicolores sur les plus belles vaches lors de la montée en estive en Aubrac, sonnailles des vaches ou des moutons, ornement frontal pour le cheval ou l’âne en Grèce... ces objets ou amulettes, colorés ou sonores, assurent la protection de l’animal.
- Danse des gitans
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Charles Stanislas l’Eveillé (1772-1833) était ingénieur en chef aux Ponts et Chaussées. Il participa aux travaux du canal de l’Ourcq et fournit plusieurs études sur les ponts suspendus. Néanmoins, sa curiosité et son habileté au dessin dépassaient largement le cadre de sa profession. Il réalisa un voyage dans le sud de la France, dans le Languedoc Roussillon et dans les Basses Alpes (aujourd’hui Alpes-de-Haute-Provence). Cette région était peu étudiée et, au cours de ses pérégrinations, il prit soin de dessiner ce qui lui semblait remarquable ou spécifique. Les thèmes étaient variés allant de relevés d’architecture à des études de costumes traditionnels en passant par des reproductions d’éléments botaniques. L’ensemble de son travail est compilé dans un album Souvenir de voyage, conservé au Mucem. Il est intéressant de noter que dans ses centres d’intérêt, il consacre plusieurs aquarelles à la vie quotidienne, aux coutumes et aux vêtements des gitans. Ce sont d’ailleurs les dessins les plus sophistiqués de l’album, réalisés à l’aquarelle. Même s’il ne se départit d’une certaine vision romantique dans le style, Charles-Stanislas l’Eveillé œuvre ici comme un ethnologue-folkloriste soucieux d’immortaliser des thèmes peu connus jusqu’ici.
- Champ de conduite du compagnon charpentier Labrie Île d’amour
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Le Tour de France, composé d’étapes dans différentes villes, est le moment ultime de la formation d’un jeune compagnon, tant pour parfaire son savoir-faire et que comme rite initiatique d’incorporation. Ce dessin est le « champ de conduite » remis au compagnon charpentier Labrie Île d’amour lors de son départ de Bordeaux vers Paris en 1826. Il est à la fois la preuve de son passage au sein de la cité mais également un rappel de la cérémonie de départ qui permet au charpentier de prendre congé de ses pairs et de se protéger des dangers de la route à venir. Le rite de départ réunissait tous les compagnons à l’extérieur de la ville, dans un « champ », souvent près d’un pont, symbole du franchissement mais aussi du lien unissant tous les compagnons de France. Le compagnon en partance trinque alors avec le Rouleur ou Premier compagnon de la ville qui est aussi le premier à qui il s’est adressé au moment de son arrivée. C’est cette cérémonie que l’on voit représentée sur le dessin : la ville de Bordeaux, reconnaissable à ses monuments (cathédrale Saint-André, basilique Saint-Michel, porte de Bourgogne) se trouve à l’arrière-plan. Le cortège de compagnons est sur le quai, aujourd’hui quai Richelieu, au bord de la Garonne, à proximité du pont de pierre. Au premier plan, les nombreux bateaux rappellent la vivacité économique du port bordelais au début du XIXe siècle ; y figure même le premier bateau à vapeur, arrivé à Bordeaux en 1821.
- Disque Nomades du Niger
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La dissolution de l’Afrique Occidentale Française en 1958, puis l’indépendance des sept états qui en sont issus (Côte-d’Ivoire, Sénégal, Guinée, Mauritanie, Haute-Volta, Dahomey, Mali) entre 1958 et 1960, met fin officiellement à la période coloniale française en Afrique subsaharienne. Durant cette dernière, entre la fin du XIXe siècle et le milieu du XXe siècle, s’est développé un certain intérêt pour les peuples et les civilisations d’Afrique occidentale, allant des enquêtes ethnographiques aux expositions coloniales, mêlant étude scientifique et culturelle. Ce disque, acquis en 1966, ayant été enregistré par l’Office français de Coopération Radiophonique, fondé en 1959, illustre un nouveau volet des relations entre la France et ses anciennes colonies d’Afrique. Les relations politiques et économiques entre états indépendants et France restent étroites, et l’Office de coopération radiophonique représente le versant visible de la coopération, en particulier grâce à des projets de valorisation culturelle des pays indépendants, dont nous avons ici un bel exemple. Ce disque vinyle 33 tours a été enregistré à Agadez au Niger et est consacré à la musique des Touareg et des Bororo. La pochette porte une photographie de nomades Touareg voilés, en costume traditionnel ; le nom des musiciens est cité, et un livret illustré de photographies explique chacune des chansons. Ce disque est à destination d’auditeurs francophones et se veut comme une découverte à la musique.
- Skuna ou brick-goélette
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Cette maquette a été réalisée pour le révérend père Charles du couvent du Tanaïl, dans la Békaa libanaise. Durant la seconde guerre mondiale, il était officier de marine en charge de la défense des côtes syro-libanaises. Passionné de navire et d’histoire maritime, il commanda à l’artiste Soleyman Abd el-Majyd deux modèles réduits : une barque de pêche traditionnelle et la skuna (ou brick-goélette) présentée ici et qui porte le nom Kawssar peint sur la coque. Un brick-goélette est un voilier à deux mâts, le mât de misaine et le grand mât situé à l’arrière. Conformément au principe de la goélette, le mat arrière est plus haut que le mat avant. Le mât de beaupré qui s’étend longuement à la proue du navire lui confère un aspect profilé. Embarcations rapides et relativement maniables, ces navires ont été très utilisés dans le commerce et pour la piraterie en Méditerranée. Leur âge d’or se situe entre la fin du XVIIIe et la fin du XIXe siècle.
- Carte-réclame
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Cette carte chromolithographique, imprimée à Paris en 1900 pour le « Chocolat-Louit », représente deux scènes superposées ; sur la première, des « bohémiens », comme nous l’indique la légende, sont représentés en chemin, avec leurs caravanes. Sur la scène du registre inférieur, les mêmes, à pied, sont chassés par les gendarmes, sous le regard d’une femme, témoin de la scène. Ici, c’est une vision répandue des bohémiens et du traitement qui leur est réservé. Ce sont des nomades, ils ne s’intègrent pas dans les cadres de la société française ; leur mobilité, le fait qu’ils ne se fixent longtemps nulle part les rend suspects tant aux yeux de la population que des autorités. Dans les campagnes, on les accuse de vol et de sorcellerie ; le fait qu’ils se déplacent les rend par ailleurs difficiles à contrôler pour l’Etat. Cette carte reflète bien les représentations d’une société sédentaire sur ses nomades minoritaires, sur un mode de vie qui n’en partage pas les valeurs, et le rejet qui en est la conséquence. Le jugement est ainsi socialement accepté, et largement diffusé par le biais de la réclame. Celle-ci non seulement reflète, mais aussi diffuse le jugement du groupe majoritaire sur une minorité ne partageant pas ses codes sociaux. Ces préjugés font preuve de longévité : portés il y a plus de cent ans, ils sont toujours présents aujourd’hui, se renouvelant en prenant pour cible de nouvelles communautés, en particulier les Roms.
- Assiette creuse la Lomellina
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Au large de Villefranche-sur-mer (Alpes-Maritimes), l’épave du navire génois la Lomellina a fait l’objet de recherches archéologiques sous-marines, depuis les années 1980. Parmi les objets retrouvés dans cette épave, cette assiette, entrées dans les collections comme le reste des vestiges remontés à la surface. Il s’agit d’une assiette creuse en majolique, céramique italienne à décor lustré métallique, au décor composé d’un damier aux cases vertes, rouges et blanches et d’une guirlande composée de feuillage bleu et de trois fleurs rouges, sur fond gris et bleu.
Cette assiette a largement participé à l’étude de l’épave, en particulier en ce qui concerne son identification. Ce type d’assiette décorée, vaisselle luxueuse, est en effet relativement rare. Les seuls exemplaires connus sont conservés à Paris et Londres. Ils datent tous des années 1490-1530, et proviennent tous du nord de l’Italie, en particulier de l’atelier de Montelupo (Toscane). Cette assiette rare permit, parmi d’autres éléments, d’identifier l’épave de Villefranche à la Lomellina, coulée en 1516.
- Boulet de canon la Lomellina
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Ce boulet de pierre taillée de manière à être presque sphérique, pesant plus de 12 kg pour 21 cm de diamètre, a été retrouvé dans l’épave de la Lomellina, navire génois coulé au début du XVIe siècle au large de Villefranche-sur-Mer (Alpes-Maritimes) et fouillé depuis les années 1980. Il témoigne de l’équipement militaire de ce navire, équipé d’une artillerie relativement nombreuse, une quinzaine de canons, également retrouvés en fouille. Ce type de boulet était directement fabriqué sur le navire, comme en témoigne la découverte d’autres boulets dont l’équipage n’avait pas terminé le façonnage avant le naufrage, ainsi que des documents d’archives contemporains qui mentionnent des pierres embarquées sur des navires pour fabriquer les boulets. Parmi les moyens de défense du navire se trouvaient également des grenades en terre cuite pouvant être remplies de chaux vive ou autre matière corrosive, des pots à feux, des fusils et des pommes de pin évidées et remplies de poudre qui servaient de projectiles incendiaires. Un tel équipement militaire sur un navire de commerce s’explique par l’insécurité des routes maritimes où sillonnaient pirates chrétiens et barbaresques.
- Affiche pour une compagnie maritime
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Marseille a toujours été en lien étroit avec le reste du bassin méditerranéen, en particulier la rive nord de l’Afrique, position privilégiée qui est largement glorifiée tout au long de son histoire. Cette relation prend un nouveau tournant après la conquête de l’Algérie, entre 1830 et 1870, et l’instauration des protectorats en Tunisie et au Maroc, établis respectivement en 1881 et 1912. Cette affiche vante le lien maritime privilégié de Marseille avec l’Afrique du Nord, et la modernité des transports, trains et navires à vapeur, qui relient la cité phocéenne au Maghreb. Marseille devient alors le premier port colonial français, et le premier port de départ de colons et de voyageurs pour l’Afrique du Nord : l’affiche nous parle de 700 000 voyageurs à destination ou en provenance de du Maghreb chaque année. Ici se donne à voir, outre l’aspect colonial en toile de fond, la puissance économique triomphante de l’industrie et des transports à vapeur français, au service de la rapidité et de la modernité, en Europe et en Afrique du Nord, comme le montrent les différentes destinations proposées à partir de Marseille. Plus qu’en tant que porte, c’est en tant que phare, qui à la fois guide et illumine de sa lumière, que Lucien Serre symbolise la ville dans cette affiche.
- Souvenir de voyage
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Ce petit objet souvenir a été acquis dans un hôtel berlinois lors d’une enquête-collecte menée par l’équipe du Mucem sur le graffiti en Europe et Méditerranée, en 2004. Dans une boîte rectangulaire en plexiglas se trouve un morceau du mur de Berlin sur lequel repose une voiture miniature. Sur l’un des côtés de la boîte est sérigraphiée la Porte de Brandebourg.
Fragment de mur, Trabant, monument public, tous sont devenus des symboles, voire des clichés, renvoyant à la République démocratique d’Allemagne ou Allemagne de l’Est. La chute de Mur de Berlin, le 9 novembre 1989, et la réunification de l’Allemagne ont été des épisodes historiques majeurs. Ce type d’objets souvenir renvoie à une période révolue et semble mêler à la fois une affirmation d’un passé et une certaine nostalgie pour celui-ci. Il est cependant intéressant de noter que la partie du mur mise en avant dans cet objet est la partie graffée. Or les graffitis se concentraient surtout sur la partie occidentale du mur qui était devenue un lieu de liberté d’expression tandis que la partie Est était isolée du reste de la ville par une zone surveillée.
- Procession nuptiale dans le sud algérien
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Ce tableau illustre une procession, avec des musiciens au premier plan, des femmes parées derrière un palanquin, et en arrière-plan, des cavaliers armés semblant sortis d’une fantasia. Le palanquin (hannoun), qui permet d’acheminer la mariée cachée à la vue de tous, est dressé sur un tapis aux motifs caractéristiques du Djebel Ammour, chaîne montagneuse située au centre de l’Algérie.
Eugène Girardet fait partie d’une famille d’artistes d’origine suisse, marqués par l'Algérie ; son père, Paul Girardet avait gravé les peintures d’Horace Vernet relatives à la conquête de 1830. Artiste voyageur, ce peintre orientaliste se rendit dès 1874 en Espagne, au Maroc et en Algérie ; il s'attacha plutôt au sud de ce pays, considérant le nord trop européanisé pour l’intéresser vraiment. Son attachement aux régions de Biskra, el-Kantara et Bou-Saada l’avait lié d’une profonde amitié à Etienne Dinet, peintre orientaliste qui vécut en Algérie.
Girardet a participé à de nombreux salons à Paris dès 1878, ainsi qu’à la première Exposition Coloniale organisée à Marseille en 1906, aux côtés d’autres peintres de ce courant orientaliste.
- Boule à neige souvenir de Rome
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Les premières mentions attestant l’existence des boules à neige se trouvent dans un rapport rédigé par Charles Cole, membre de la Commission Verre de l’Exposition universelle de 1878 qui s’est déroulée à Paris. Il y décrit de petits presse-papiers en forme de boule contenant de l’eau et une poudre blanche. Au sein de la boule se trouvent de petits personnages.
L’engouement pour ce nouveau produit est immédiat mais sa diffusion auprès d’un large public et sa portée touristique s’affirment à partir des années 1950, avec le développement de la plasturgie. Bon marché, ludique, aisément transportable, à la fois homogène dans leur forme et variées dans leurs sujets, les boules à neiges deviennent des souvenirs prisés et des objets collectionnés par les chionosphérophiles. Les avoir chez soi constitue autant de trophées de ses différents voyages. La destination doit être identifiable d’un coup d’œil ce qui explique que le nom de la ville apparaisse souvent sur la base et que le choix de la scène soit symbolique. Ici, il s’agit d’un gladiateur posté fièrement au-dessus du Colisée, allusion convenue à la richesse et à la grandeur du passé antique de Rome.
- Affiche pour l’office du tourisme polonais
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Beaucoup en France se souviennent encore de la célèbre expression : le « plombier polonais », symbole des travailleurs européens bon marché et du dumping social qui serait suscité par le marché ouvert européen. Il apparaît dans la presse française en 2005, au moment du débat sur le traité constitutionnel européen, qui aurait libéralisé les conditions de circulation et d’embauche des travailleurs de l’union européenne. Le plombier polonais devient un symbole de ce débat, mais également le sujet d’une escalade verbale touchant parfois à la xénophobie.
Cette affiche, spécialement éditée par l’office du tourisme de Pologne pour la France, détourne le cliché. Le mannequin Piotr Adamski figure un plombier polonais au physique avantageux, invitant les touristes français à visiter le pays, désormais facilement accessible pour les citoyens européens. Ce fut un succès, la fréquentation de la Pologne par les touristes français augmentant de manière importante à l’été 2005 par rapport à d’autres pays.
- Maquette-souvenir de pèlerinage, Grotte de la Nativité
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Cette petite maquette d’ébène et d’olivier incrustés de nacre représente la Grotte de la Nativité à Bethléem, important lieu de pèlerinage chrétien. Au IVe siècle, l’empereur Constantin fit ériger une première basilique à l’emplacement supposé de la naissance de Jésus. L’église fut reconstruite sous Justinien (525-575). Deux escaliers, visibles de part et d’autre de la maquette, permettent de descendre dans la grotte transformée en crypte. L’endroit exact de la Nativité est indiqué par une étoile à 14 branches que l’on voit ici incisée dans la nacre à proximité d’une représentation de l’Enfant emmailloté.
Produit d’un artisanat de luxe pratiqué par des artisans syro-libanais dans les monastères franciscains, ce type d’objets était réalisé pour les pèlerins chrétiens occidentaux qui les ramenaient en souvenir de leur voyage en Terre sainte. Cette maquette appartient à un ensemble plus complet de huit modèles réduits représentant le parcours idéal du pèlerin catholique. Un livret explicatif, aujourd’hui disparu, était fourni avec les maquettes et participait de la fonction mémorielle de ces objets.