Lutte contre le sida
Les Sœurs de la perpétuelle indulgence fêtent leurs 40 ans !
Article proposé par Sœur Salem de la langue ardente, activiste, membre de l'Ordre de la Perpétuelle Indulgence et Renaud Chantraine, doctorant en anthropologie (IIAC/Mucem).
Au Mucem, une partie de la mémoire de la lutte contre le sida est conservée dans les réserves. Entre 2002 et 2006, une grande enquête-collecte sur l’histoire et les mémoires du sida en France, en Europe et en Méditerranée, menée par Françoise Loux et Stéphane Abriol, a permis de rassembler plus de 15 000 objets et documents issus d’associations, d’équipes médicales et d’individus ayant contribué à ces luttes. D’autres dons, comme le costume de sœur Orgia Maxima présenté plus bas, sont venus compléter la collection à partir de 2013.
Depuis 2017, des journées d’étude et des rencontres1 avec différentes personnes concernées par le VIH/sida (militant.es associatifs, soignant.es, chercheur.es) sont organisées en vue d’une exposition au Mucem, qui devrait ouvrir ses portes en décembre 2021. Ces rencontres sont aussi l’occasion de se replonger dans cette immense collection, qui a maintenant presque quinze ans, et de mesurer le chemin parcouru. Qu’est-ce que nous disent ces objets ? Comment les faire parler ? Comment enrichir, par des récits incarnés et concernés, les informations qui leur sont attachées ?
Les Sœurs de la perpétuelle indulgence, mouvement issu de la communauté gay, ont été parmi les premières à se mobiliser lors de cette terrible épidémie .
À l’approche de la date des quarante ans de ce mouvement, le vendredi 29 mars 2019, sœur Salem de la langue ardente, activiste depuis plus de dix-sept ans dans ce mouvement en France, ainsi que Renaud Chantraine et Quentin Zimmermann, doctorant.e.s travaillant tous deux sur les enjeux de mémoire des minorités LGBTQ (lesbienne, gay, bi, trans et intersexe), se sont retrouvé.e.s au Centre de conservation et de ressources du Mucem pour partager une expérience : découvrir ensemble les objets de ce mouvement conservés au musée. L’article suivant découle de cette rencontre.
[1] Les vidéos de ces journées d’étude sont en ligne sur https://mucemlab.hypotheses.org
Interview du photographe Jean-Baptiste Caraix
Sœur Salem de la langue ardente, qui es-tu ?
Soeur Salem © I.S.D Sentis
« Je suis sœur Salem de la langue ardente, dite Foufoune la tulipe, gardienne des passions et des sortilèges. Quand nous nous connaîtrons davantage, je te dirai l’ensemble de mon nom de sœur… ! Je suis engagé.e dans la lutte contre le sida depuis plus de vingt-cinq ans. J’ai œuvré à Act-Up Lille, aux Flamands roses , au Planning familial et au sein d’autres chapelles ! Je suis au sein du mouvement des Sœurs de la perpétuelle indulgence depuis plus de dix-sept ans.
Je suis également engagé.e dans d’autres combats intersectionnels pour les droits des femmes et des personnes LGBTQI*. Je suis une personne de genre fluide et dans les engagements je performe les codes sociaux féminins et masculins. Je suis devenu.e sœur à un moment de ma vie où le poids d’être le ou la survivant.e de mon groupe d’ami.e.s décimé.e.s par le sida et la dope ne m’empêchait plus de me projeter dans la vie. Devenir une sœur est lié à une pulsion de vie.
J’ai commencé ma vie de sœur au couvent du Nord, j’ai eu le bonheur d’avoir plusieurs couvents de cœur (je venais régulièrement à Marseille œuvrer avec le couvent des Chênaies) ou à la Grande Babylone avec le couvent de Paname pour ne citer que ces deux-là. J’ai beaucoup fait le lien entre les groupes de notre ordre, on m’appelait « la sœur du rail ».
Aujourd’hui, j’ai la chance de cheminer depuis presque quinze ans avec ma compagne Lydie qui est engagée comme ange au sein de notre ordre. Être ange, c’est être une personne qui nous aide de mille et une façons (nous conduire, porter du matériel de prévention, accueillir nos invité.e.s…). Les anges veillent sur nous et sont indispensables !
Chaque parcours au sein de notre ordre est singulier, mais il est jalonné des mêmes étapes pour chacun.e d’entre nous.
La première étape qui jalonne le chemin est celle d’écrire à une association/couvent pour postuler en décrivant nos motivations à œuvrer au sein de notre mouvement.
Souvent, on connaît les sœurs et gardes du couvent auquel on écrit. Moi, j’avais beaucoup de respect pour les actions menées par les deux sœurs qui constituaient le couvent du Nord à Lille. Je militais avec elles lors d’actions inter-associations. Mais je ne me voyais pas me travestir comme elles, je ne me projetais pas en tant que butch dans leurs identités de folles et de gays.
Et puis, le cheminement pour être sœur ou garde demande un engagement dans la durée, un cycle de vie d’une année environ entre l’envoi de la demande, la rencontre avec le groupe pour se présenter et découvrir le fonctionnement du groupe, l’acceptation, le temps de postulance où l’on est en « civil ».
On observe les sœurs et gardes œuvrer et on apprend avec elles et ils. Puis, lorsque le groupe et la ou le postulant.e pensent qu’il est temps de passer à l’étape de novice, on prononce les vœux en déployant notre « personnage » avec son costume et son maquillage. Nous cheminons ensuite avec nos sœurs et gardes « confirmé.e.s », et lorsque l’on se sent prêt.e et que notre couvent constate que l’on est prêt.e, alors nous re-prononçons nos vœux et nous recevons notre voile noir ou notre bandana noir si on est garde… Hé oui, nous avons de merveilleux garde-cuisses au sein de notre ordre, qui accompagnent et protègent les sœurs, qui écoutent nos ouailles… ces personnages ont des rituels et des maquillages spécifiques au corps des garde-cuisses.
Quand mes sœurs me proposaient de les rejoindre, alors que j’étais encore très écorché.e émotionnellement et que je ne vivais que dans l’instant présent, je leur répondais : « Ok, si je deviens sœur là maintenant tout de suite… » Je savais que ce n’était pas possible mais j’étais dans cet état d’esprit. Elles ont été très patientes et un jour j’ai envoyé ma lettre de postulante. C’était en revenant des Universités d’été euro-méditerranéennes des homosexualités (UEEH) qui se déroulaient à l’époque à Marseille. J’y avais rencontré des sœurs extraordinaires et chacune singulière au sein d’un groupe inter-couvent.
Selon les couvents, nous formulons nos vœux un peu différemment : le vœu de rejet de la honte et de la culpabilité stigmatisante, le vœu de paix entre les communautés, le vœu de mémoire, le vœu d’information et la prévention du VIH et des IST, la promotion de la joie multiverselle et celui de la charité ou générosité. Je suis devenu.e sœur au départ par rapport à la lutte contre le sida. Puis ces vœux se sont colorés et ils m’ont fait grandir et permis de vieillir ! Pour mes dix ans d’engagement, j’ai renouvelé à Lille mes vœux avec mes sœurs de Paname et du couvent du Nord. Et aujourd’hui, sept ans après, je me rends compte que je décline nos vœux avec la même ardeur, je suis gardienne des passions ! Mais parfois pas avec les mêmes « formes » et les mêmes groupes. Je n’ai pas de vœu propre à mon personnage mais j’apporte et partage avec mes sœurs et gardes des luttes qui sont liées à mes identités et mon parcours de vie : la santé des lesbiennes et des femmes qu’elles soient cis ou trans, la lutte contre les violences, l’histoire et la mémoire des personnes minorisées… Mon personnage porte des couleurs en lien avec le mouvement lesbien et la spiritualité, mes symboles : lune et soleil symbolisent ma fluidité de genre, ruban rouge et ruban rose représentent toutes celles et ceux qui sont au Paradisco et dans mon cœur, triangle noir en souvenir de tout.e.s les asociales ou asociaux persécuté.e.s hier et aujourd’hui… Je porte des reliques liées à la communauté cuir… Concernant le vœu de mémoire, je le partage par exemple en animant des ateliers de patchwork des noms en mémoire de personnes décédées des suites du VIH et en déployant les patchworks des noms qui sont des grands carrés de tissu de 3,80 sur 3,80 mètres. Je le partage encore lorsque je participe à des ateliers et des cérémonies sur l’histoire des asociales. J’ai eu la chance d’aller aux trente ans de notre mouvement à San Francisco et de me réunir avec nos sœurs du monde entier au jardin du souvenir de Castro. Depuis, j’ai toujours un caillou rose de ce jardin avec moi comme j’ai également un caillou noir du mémorial du camp de concentration de Ravensbrück.
Avant une action, nous nous préparons le plus souvent ensemble. Il y a tellement de possibilités et puis nous sommes tellement gourmandes ! C’est un moment de retrouvailles, d’échanges, d’entraide (il y en a toujours un.e qui a oublié quelque chose !), de concentration. Chacune a son rythme : certaines comme moi sont prêtes rapidement ; d’autres, notamment celles qui ont des maquillages très élaborés, ont besoin de davantage de temps… Par exemple, nous faisons des maraudes, nous allons à la rencontre de nos ouailles et de celles et ceux qui ne nous connaissent pas. Nous allons dans les rues discuter, prendre des nouvelles, donner des capotes ou encore des roule-ta-paille, partager un verre… prendre dans nos bras les cœurs brisés ou les vivantes vibrantes de joie. Il y a tellement de formes pour œuvrer ! »
Entrée dans les collections du Mucem du Patchwork des Noms, objet de commémoration des personnes disparues du Sida, don du Dutch AIDS Memorial Quilt au Mucem en 2018.
Presque deux cents objets concernant ce groupe militant sont conservés dans les réserves du musée. Comment choisir ?
La sélection proposée par sœur Salem voulait rendre compte à la fois de ce qui est commun aux sœurs du monde entier, et de ce qui relève plutôt du contexte local marseillais.
« J’ai souhaité accéder à nos reliques conservées dans ce musée pour participer à la célébration des quarante ans de notre ordre et pour partager notre histoire avec nos ouailles. Je participe aux séminaires organisés par le Mucem sur l’histoire et les mémoires de l’épidémie du VIH/sida. Venir dans ce « bunker », c’est découvrir le lieu de travail des membres de l’équipe du Mucem avec qui je chemine dans le cadre de ce séminaire et ce projet d’exposition. J’adore explorer les lieux de sexe, alors venir ici : c’est excitant ! C’est plus complexe de venir ici que sur les lieux de drague, il faut montrer patte blanche, trouver une date très longtemps à l’avance et avec nos carnets de bal déjà bien remplis cela n’a pas été simple… heureusement sainte Rita, patronne des causes désespérées, a veillé sur nous. Bref, beaucoup d’énergies déployées, mais grâce à l’aide de Renaud Chantraine et de Florent Molle (conservateur du patrimoine au Mucem et responsable du pôle Sport et santé), le miracle a eu lieu : j’ai pu faire mon pèlerinage ! Alléluia !
Cela n’a pas été simple de choisir parmi ces nombreuses reliques ! Elles sont toutes extraordinaires ! J’ai d’abord voulu me relier à l’histoire des Sœurs et bien sûr à la mienne en faisant ces choix d’objets. J’ai voulu présenter ce qui nous relie dans nos pratiques sororales au sein de notre mouvement et à travers les générations d’activistes. J’ai aussi privilégié les objets aux contacts avec nos corps et ceux de nos ouailles ; ainsi que ceux que nous avons transformés pour nous les réapproprier. Et il y a ceux qui nous ont permis et continuent de nous permettre de financer nos actions comme les séjours de ressourcement où nous accueillons des personnes vivant avec le VIH. Ma sélection fait la part belle à l’histoire de nos sœurs et gardes de Marseille ou qui ont œuvré à Marseille et sa région. Ce sont de fantastiques créatures !
En accédant à cette collection, je pense beaucoup à mes sœurs qui ne sont pas présentes avec moi aujourd’hui. Je me sens relié.e à elles et à eux, celles et ceux que je connais mais aussi celles et ceux que je découvre grâce à cette collection d’objets. Je suis aussi extrêmement touché.e de me connecter à l’histoire de notre mouvement puisque en avril2 c’est le moment où nous fêtons nos quarante ans avec joie, fierté, paillettes, poils… à San Francisco et à travers le monde. »
[2] Le 15 avril 1979, jour de Pâques, un groupe d’amis décident de sortir dans Castro, quartier gay de San Francisco, habillés en nonnes avec des mitraillettes roses… cette année les 40 ans de ce mouvement ont été fêtés le 21 avril 2019 dans le quartier de Mission au Dolores Park de San Francisco. En France, cet anniversaire a été célébré à Paris et dans d’autres villes : https://www.liberation.fr/france/2019/06/18/on-garde-notre-raison-d-etre-des-folles-radicales_1734614 Un exemple des célébrations organisées par des associations françaises dites « couvents » ici à Lyon : https://mairie1.lyon.fr/evenement/exposition/les-soeurs-de-la-perpetuelle-indulgence-40-ans-de-trottoir
«À travers cet article, j’ai envie de donner envie aux personnes, quelles qu’elles soient, d’aller parler avec mes sœurs, gardes et anges de notre mouvement ainsi qu’avec les personnes qui militent aux côtés des sœurs.»
© I.S.D. Sentis Collection Mucem
« Quand j’ai vu la table, je ne sais pas si c’est parce qu’il fait froid dans la salle, ou si c’est parce que je suis fatigué.e (j’ai dû me lever aux aurores pour venir à Marseille), mais j’ai eu la sensation d’être face à une table d’autopsie où une sœur reposerait. Et j’ai l’impression d’être rentrée dans une forteresse, où l’on m’a demandé mes papiers à l’entrée. Cela m’a fait un drôle d’effet de devoir rendre des comptes pour accéder au patrimoine des Sœurs que, en tant que militant.e.s, nous avons confié pour qu’il soit archivé et conservé.
Voir ces étiquettes, avec des nombres, des chiffres, des codes-barres, un classement, qui me fait penser à d’autres chiffres, d’autres classements, d’autres codes-barres, d’autres fichiers lors d’heures sombres comme celles de la Seconde Guerre mondiale. En même temps, j’étais très curieuse de découvrir ce lieu et ces objets, et je suis ravie d’être ici ! On n’a pas toujours l’occasion de toucher les objets qui sont devant nous, de se connecter à leur histoire, de prendre conscience de leur importance !
Je souhaite remercier toute l’équipe qui s’est mobilisée. Cela a été beaucoup de travail de la part des professionnel.le.s du musée de nous permettre d’accéder à ces objets présentés sur cette table. C’est passionnant de voir comment ils sont conservés. C’est une des grandes questions qui m’amènent aujourd’hui à rencontrer ces professionnel.le.s de la conservation. Les Sœurs de la perpétuelle indulgence, nous sommes un mouvement de personnes minorisées et souvent précarisées. L’épidémie du sida a ravagé nos communautés. En tant que personnes minorisées et précarisées par cette société hétéropatriarcale et capitaliste, conserver, garder notre patrimoine, nos objets, ce sont de vraies luttes quotidiennes.
Cette présentation sur cette table blanche me fait penser à un ex-voto, j’ai l’impression que la régisseuse qui a préparé cette consultation l’a conçu comme un tableau. »
Que fait l’institution muséale à la collection des Sœurs (et vice versa) ?
«Dans les descriptions que l’on retrouve sur la base de données en ligne, les informations attachées aux objets conservés dans les collections du Mucem sont généralement très formelles (ces descriptions visuelles permettent d’identifier l’objet au sein des collections). Souvent, et en particulier pour les objets que nous avons pu consulter, le sens que l’objet avait pour la personne qui l’a créé, parfois même le contexte dans lequel cet objet était utilisé n’est pas bien connu3, mais surtout, la part de subjectivité est absente.
[3] Le très grand nombre d’objets rassemblés lors de l’enquête-collecte, sur une période relativement courte (2002 à 2006), explique en partie qu’il n’ait pas été systématiquement possible de renseigner avec précision leur contexte d’utilisation. L’objectif était alors de sauver la mémoire fragile d’un grand nombre d’associations, en faisant entrer ce patrimoine au musée. Sur la base de données en ligne, accessible sur le site internet, les informations concernant le contexte de création et d’utilisation n’apparaissent pas, contrairement à la base de gestion des collections, plus complète, utilisée en interne. Ce problème a été identifié par les équipes et nous espérons qu’une solution se profile à court terme, afin de rendre ces données plus largement publiques.
D’un autre côté, la présence de ces objets dans les collections d’une institution patrimoniale garantit leur conservation, qui serait difficile si on ne pouvait pas y avoir recours. Ceci dit : Qui est en droit de parler sur ces objets ? Qui est légitime ?
Mon objectif est de donner envie d’aller collecter les récits d’autres sœurs pour qu’elles racontent leurs histoires, que d’autres sœurs viennent aussi témoigner et contribuent au projet lié à cette collection à différents moments et à leur façon. Et pourquoi pas que ces récits soient rajoutés dans ces fiches…
Je regrette, en tant qu’activiste, que ces objets ne puissent plus sortir des murs du Mucem pour les présenter dans un lieu associatif par exemple, un espace qui ne soit pas un musée. D’un autre côté, les sœurs qui ont confié ces objets au musée l’ont fait à un instant T de la lutte contre le sida et de leur parcours, en lien avec leurs préoccupations et lors d’une rencontre avec des chercheurs.
Cela fait plus de dix-sept ans que je suis sœur, je mène une vie inter-couvent. J’ai dû déménager et traverser toute la France. Cela m’a éloigné.e de mon couvent initial : le couvent du Nord. Mon corps s’est métamorphosé avec une prise de poids conséquente suite à un grave accident et je suis à mobilité réduite aujourd’hui. Cela est très contraignant et m’empêche en ce moment d’œuvrer comme je le souhaiterais avec mes sœurs sur les trottoirs et comme j’ai pu le faire durant des années. Je réfléchis maintenant à mes propres pratiques de conservation des objets et archives de mes luttes au sein de notre mouvement. Ces questions se posent à tout le monde, en tout cas je me les pose : Quand est-ce qu’on donne ses objets ? Quand on arrête d’être sœur ? Quand on l’est encore ? Quand on se métamorphose, comme moi en ce moment ? Doit-on / peut-on… donner ses reliques en tant que collectif ou association ou de façon individuelle ?
Je me questionne en regardant cette table et les objets qui y sont rassemblés sur l’absence des paroles ou des récits des personnes qui les ont donnés. Cela nous permettrait pourtant de situer ce ou ces dons dans les cheminements de ces activistes et de partager leur point de vue en tant qu’individus mais aussi comme appartenant à un groupe.
J’aimerais qu’il y ait des paroles collectives et individuelles, des paroles d’activistes d’aujourd’hui qui pourraient aussi dire : « Moi aujourd’hui en tant que sœur ou garde, cela fait un an que je suis sœur, je vais prendre la parole pour raconter mon histoire et celle de mon couvent. » Il serait également important que les membres des couvents en activité aujourd’hui partagent leurs histoires, construisent ensemble un récit commun de l’histoire des différents couvents parce que nous sommes dans une démarche collective en œuvrant au sein de cet ordre. »
Récits subjectifs d’objets vivants
Par Sœur Salem
- Costume de Sœur Orgia
-
« J’ai choisi ces objets parce qu’ils ont appartenu à une sœur qui a œuvré au couvent des Aubépines d’Aix-en-Provence, couvent qui est actuellement « en sommeil » (c’est-à-dire qui n’est plus en activité). Elle a été une sœur importante qui a contribué à la création du couvent des Chênaies, dont elle est la marraine. J’ai beaucoup de plaisir à œuvrer avec les sœurs et gardes du couvent des Chênaies depuis de très nombreuses années. Sœur Orgia Maxima, que je n’ai pas eu l’honneur de connaître, a accompagné sœur Marie-God lors de son parcours au sein de notre ordre et lui a conseillé de créer le couvent des Chênaies qui a ouvert ses portes en 2000 et dont elle est aujourd’hui la « mère ». J’ai eu un énorme coup de cœur en découvrant cette tenue de sœur Orgia aux couleurs de l’Olympique de Marseille ! »
- Cornettes
-
« Chaque couvent de France a des patrons de cornettes différents. On s’en prête, on s’en donne. C’est un savoir qui se partage. On apprend à les faire et là aussi il y a souvent beaucoup de détournements d’objets. On transforme les objets du quotidien, par exemple : des rayons de roue de vélo, de machine à laver, des baleines de soutien-gorge… Celle-là je ne sais pas avec quel matériel elle est faite. Elle est très classique par sa forme et en parfait état. Moi, j’aurais honte de donner la mienne au Mucem, car elle est toute déchirée ! Nous recevons nos cornettes quand nous prononçons pour la deuxième fois nos vœux. Quand nous devenons un personnage confirmé. Les premières fois que nous les portons, nos cornettes nous font vivre de sacrées aventures ! Comme se cogner avec les cornettes d’autres sœurs, car on découvre qu’elles prennent une certaine place! On peut sentir (ou pas) que l’on a changé de statut au sein de l’ordre… Chacune d’entre nous vit une expérience singulière. Les gants de cette tenue sont très beaux ; beaucoup de sœurs portent ces grands gants, qui vont au-delà du coude. Quand on regarde de plus près, quand on ose les toucher, ils se métamorphosent. On voit qu’ils ont servi : ils sont élimés au bout des doigts, les coutures ont un peu travaillé. Ce sont des gants qui ont vécu ! Souvent, au-dessus de nos gants, nous mettons des bagues, des bracelets, des bijoux. Tout cet attirail effiloche nos gants. Sans compter les taches de lubrifiant social comme le saint jaja ou encore les trous de cigarette…
Ce que je trouve vraiment extraordinaire chez les Sœurs, ce qui m’a fait choisir ce costume, c’est les objets et les couleurs que nous détournons. Il y a là une sorte de manteau « moumoute » bleu à poils mi-longs. J’imagine comment la sœur qui l’a porté a pris du plaisir à interagir avec les personnes, comment elle a proposé qu’on touche son manteau pour créer du lien avec nos ouailles… Ce type de vêtement crée une sorte de big bang visuel en mélangeant les codes sociaux liés aux genres, en mixant des objets dits féminins et masculins. Les personnes qui nous croisent sont prises dans ce big bang. Elles ne savent pas comment nous genrer. Et, en même temps, tout cela se fait en s’amusant ! Comme cette petite robe noire à froufrous, avec une paire de chaussettes et une écharpe de l’OM ! Être sœur c’est aussi ça : porter fièrement ce que d’autres portent fièrement dans un autre contexte, sans dénigrer leurs différentes appartenances.
Moi, par exemple j’ai toujours des objets liés au pouvoir masculin, comme une chasuble. C’est une façon de se réapproprier les symboles des autorités hétéropatriarcales, de les transgresser et de s’en servir pour amorcer une discussion. » - Collerettes
-
« Comme pour les cornettes, toutes les sœurs ont une collerette ! Enfin… Quand elles ne sont pas en tenue d’Ève ! Ici, La collerette est métamorphosée en étant présentée à plat. Quand on la voit inanimée, c’est presque un autre objet qui apparaît. Je trouve cela très beau. C’est drôle, la magie des objets. Là encore, quand on regarde de plus près ces dentelles, on voit bien que les sœurs sont des créatures nocturnes ! Car ici avec une lumière très blanche et forte, si je présentais ma collerette, nous verrions les taches, l’usure… alors que dans la nuit sur les trottoirs elle apparaît comme celle-ci : immaculée. Ah, la magie de la nuit…
Nos collerettes sont le plus souvent ornées de badges, de rubans rouges, de colliers. Même si nous sommes un « ordre pauvre et dérisoire » comme nous aimons à le dire, nous aimons les jolies choses ! Nos tenues changent en fonction de l’action prévue, du public, de ce que l’on veut dire, de notre humeur. Entre les moments de recueillement ou de fête qui peuvent se suivre alternativement, on choisit certaines couleurs et paillettes. Les sœurs peuvent avoir une immense garde-robe ou, comme moi, seulement deux ou trois tenues…» - Bijoux
-
« Sur les bijoux, il y aurait beaucoup à dire. Ces croix par exemple : moi je n’en mets pas, car je ne prends pas de plaisir à détourner ces objets-là, contrairement à d’autres sœurs. Nous fabriquons beaucoup d’objets. Cela fait partie de nos pratiques communautaires quelles que soient nos générations, nos continents. On s’approprie et on transforme par exemple des objets de soin, de traitements.
Ce qui me plaît beaucoup, c’est tous ces badges en lien avec le folklore, les pratiques ou les fiertés locales : la Bonne Mère, Notre Dame de la Garde, c’est juste génial ! Moi, j’ai des badges de moules, pour les moules de la Braderie de Lille mais aussi en réappropriation de l’insulte faite au sexe féminin. C’est fait avec amour et respect – tout en pouvant parfois être très malicieux. Je trouve ces objets très émouvants. Ils sont faits par nous, nos proches, les personnes vivant avant le VIH qu’on a accompagnées, qui nous ont accompagnées, avec qui on a vécu des moments importants. Ils sont très puissants du fait de leur histoire et de leur pouvoir symbolique et évocateur. »
- Poupées
-
« Toutes ces petites poupées sont également très belles. C’est une pratique d’artisanat monastique que les sœurs ont souvent en commun. Je n’ose pas trop les toucher, par respect. Cette poupée a dû traverser beaucoup de choses. C’est marrant, il n’y a pas très longtemps à Montpellier le collectif Queer MartinE a animé une soirée où les sœurs sont intervenues autour de la réappropriation de nos corps et de la déconstruction des injonctions faites notamment au corps des femmes, des personnes trans et queer. Et elles et ils ont proposé un atelier très libératoire « Customise ta Barbie ». C’était génial. Les Barbie ont été transformées, ont changé de genre… Cette poupée customisée par une sœur me fait penser à toute cette énergie que l’on partage avec les groupes avec lesquels nous œuvrons. À cette poupée, qui a un peu la morphologie d’une Barbie, quelqu’un.e a ajouté des cornettes. On lui a fait un voile noir, on lui a coloré le visage comme une sœur, avec des couleurs de sœur. On l’a rendue sexy comme une sœur. Elle montre bien tous ses attributs, sa « carrosserie » et son goût pour les paillettes.
Je n’ai jamais eu de poupées, mais lors de ressourcements, ces séjours durant lesquels nous accueillons des personnes vivant avec le VIH et avec qui nous partageons des ateliers, des spectacles, des balades… j’ai participé à la création de ce genre d’objets lors d’ateliers animés par mes sœurs. Je ne sais pas pourquoi cette poupée a été spécialement créée. A-t-elle été réalisée pour se souvenir d’une sœur ? S’autoreprésenter ?… Nous avons souvent un autel chez nous où nous représentons un certain nombre de nos vœux, de nos combats et où l’on prend le temps de pouvoir penser à celles et ceux qui sont au Paradisco. Est-ce que cette poupée faisait partie d’un objet rituel personnel réservé à la sphère privée, à la sphère publique ou les deux ? Je ne sais pas le dire. S’agissait-il d’un objet créé pour décorer une boîte à don ou célébrer un mariage… ? Nous avons des objets communs mais parfois nos pratiques avec ces objets peuvent varier selon les époques, les contextes politiques, les besoins de la sœur ou de son couvent. »
- Le livre de ressourcement
-
« On voit le livre sur les ressourcements, c’est un projet que j’ai porté avec mes sœurs du couvent du Nord. Pour moi, il y avait dès le départ une dimension mémorielle dans cette démarche de création de livre en plus de celle de financer nos séjours pour nos ouailles séropo. Alors que pour certaines de mes sœurs, ce n’était qu’un objet pour collecter des fonds pour nos ressourcements, pour moi, le livre était dédié à une de nos sœurs qui était très malade et qui, merci sainte Rita, est toujours parmi nous aujourd’hui. Pour elle, c’est peut-être aussi un miroir particulier d’une période de sa vie. Pour moi, c’était un acte d’amour envers elle. Il n’existait alors que le livre de Rita du Calvaire1, qu’elle a écrit en tant que sociologue. Ce livre sur les ressourcements était le premier en France avec des photos de nous et des ressourcé.e.s. C’était également une volonté de visibiliser et de faire connaître notre mouvement. J’ai eu très peur parce qu’il y avait à nouveau une flambée d’extrême droite à l’époque. En tout cas c’était la première fois que nous publiions et diffusions un tel ouvrage. J’étais une très jeune sœur à l’époque et coordonner un tel projet était beaucoup de responsabilités. C’est vrai que j’ai eu des sueurs froides : nous étions des apparitions fugaces. Cela faisait partie de nos stratégies de protection. Avec ce livre, nous avions une autre forme de visibilité que nous ne pouvions totalement contrôler. J’ai eu vraiment peur que des groupuscules néo-fascistes, d’extrême droite, de droite s’en emparent pour nous harceler. Il y a nos visages « en civil », nos visages « en sœurs » dans ce livre, les visages des personnes et enfants venu.e.s aux ressourcements sont peu indentifiables. Finalement, tout s’est bien passé, mais c’était une appréhension justifiée étant donné le contexte. Et nous avons récolté d’importants fonds qui ont été précieux pour nos actions. Maintenant ce livre est dans un musée ! Alléluia ! Avec le couvent du Nord, nous ne l’avions pas réalisé pour qu’il soit ici un jour. Mais j’en suis ravie !
En tant que bibliothécaire, mon activité dans le civil, j’ai des questionnements : qui met quel mot pour décrire ces objets dans les bases de données du musée ? Quelle nomenclature est utilisée ? Cela dit, beaucoup de choses de la façon dont on pense la société, les personnes, les valeurs, etc. Ce que je trouve très beau par exemple dans le fait que ce livre sur les ressourcements soit dans cette collection, c’est que cela me relie à la sœur qui a fait ce don : Adrénaline. Elle était au couvent de Paris, puis elle est allée œuvrer dans celui de Paname (il y a deux couvents à la Grande Babylone : « Paris » et « Paname » ). Elle vit aujourd’hui à Marseille et œuvre encore au sein de notre ordre. C’est une sœur que j’aime beaucoup, une femme cis extraordinaire. Nous l’avions invitée à la soirée de lancement du livre. Nous avions organisé une énorme action à Lille à cette occasion. Nous avions convié des activistes du Tipi de Marseille, des femmes africaines de différentes associations, nous voulions présenter les différents types de ressourcements qui étaient organisés en France. J’avais demandé à Stéphane Abriol, l’un des chercheurs qui ont constitué cette collection, qu’il nous raconte la collecte en cours. J’avais déjà l’intuition à l’époque qu’il nous fallait découvrir cette démarche et y contribuer. Cette collecte était une façon pour moi de faire communauté. Et aujourd’hui, j’ai le plaisir de retrouver Stéphane au Mucem lors des séminaires… »
1 Un mouvement gai dans la lutte contre le sida : les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence. Jean-Yves Le Talec, Daniel Welzer-Lang et Sylvie Tomolillo, L’Harmattan, coll. « Logiques sociales », 2000.
- Cartes postales
-
« Je trouvais que c’était important de montrer les objets qui ont été réalisés à différentes époques de notre mouvement. Ces séries de cartes postales ont été réalisées par plusieurs générations de sœurs et de gardes. On peut en retrouver certaines dans les archives des associations ou des archives privées. On voit sœur Adrénaline sur cette photo d’Olivier Touron. C’est un moment avant la cérémonie des Lumières (un temps dédié à celles et ceux qui sont au Paradisco). Les sœurs sont en cercle, elles se préparent à lire des poèmes et à évoquer des personnes. Sur une autre carte postale, c’est d’autres sœurs qui sont dans un décor d’étoiles, de planètes. »
« Là, on voit un garde-cuisse en plein envol, je crois que c’est Adrénaline lorsqu’elle était garde-cuisse. Certaines sœurs ont été des garde-cuisses avant d’être des sœurs, c’est le cas par exemple pour Adrénaline ou pour sœur Kékette. L’inverse est moins fréquent. Il y a aussi des personnes qui vont hybrider les personnages en étant sœurs avec tous les attributs des garde-cuisses. Les astres me parlent parce que souvent dans les poèmes que nous lisons, on rappelle à tous et toutes que nous sommes des poussières d’étoiles. Les lunes sont aussi mes symboles de sœur, je les porte en bijoux, je les dessine sur mon visage. J’ai aussi des symboles liés à l’astre du soleil. Parce que la lune peut être masculine et le soleil féminin. Comme certaines sœurs peuvent utiliser le rose ou le bleu pour se réapproprier ces couleurs qui sont genrées dans certaines cultures, je voulais me représenter avec ces symboles réunis alors qu’ils sont souvent opposés pour montrer que je suis fait.e de tout cela. J’aime beaucoup cette série de cartes postales, entre dessin et reconstitution. Il y a aussi cette dimension un peu chamanique qui apparaît. Une partie du mouvement des Sœurs vient des Radical Fairies . Certaines sœurs françaises ont quitté dans les années 2010 notre mouvement pour créer un groupe de Fées. »
- Tracts et flyers
-
« Les tracts, les flyers, les objets créés par les couvents sont intéressants parce qu’il est important qu’on prenne ensemble le temps de les regarder. Maintenant que nous sommes à l’ère du numérique, les sœurs créent des objets qui ont une vie numérique : des flyers, des invitations à leurs soirées, qui ne sont très souvent qu’en format numérique. Comment va-t-on pouvoir les transmettre, les conserver ?
J’ai choisi ces deux flyers-là parce qu’ils me renvoient à mon histoire. J’ai toujours été très proche des sœurs de Paname, c’était ma deuxième maison. C’est un des flyers que j’ai chez moi, que j’ai distribué, et malheureusement, ces slogans sont toujours d’actualité. « Le sida fête ses 20 ans », il n’y a pas la date sur le flyer. Maintenant, le sida en a presque le double.C’est aussi un miroir un peu complexe, ce flyer, car il me renvoie aux décès de mes ami.e.s, à leurs funérailles desquelles j’ai été exclu.e par leurs familles. Je ne sais pas si mes sœurs de Paname feraient ce type d’invitation aujourd’hui, mais je pense qu’il est indispensable que nous connaissions notre histoire et celle de nos actions passées pour imaginer et vivre celle d’aujourd’hui. Nous sommes investi.e.s dans la transmission orale au sein de nos groupes. Maintenant, on a aussi des livres, on a internet, on a même des films, mais parfois nous pouvons manquer de temps pour partager entre nous notre histoire. Ce flyer est encore d’actualité, même si je suis sûre que mes sœurs aujourd’hui le feraient autrement, avec un autre vocabulaire, une autre forme graphique, mais il serait tout aussi percutant. C’est important que les sœurs qui l’ont conçu puissent aussi sentir ce lien entre elles et les nouvelles générations d’activistes, même si elles ne sont plus en activité, ou qu’elles sont au Paradisco. »
« L’autre tract, c’est moi qui ai contribué à sa réalisation, mais ce que je trouve très rigolo, c’est que ce n’est pas du tout moi qui l’ai confié au Mucem. Je trouve ça génial de le retrouver ici ! C’est extraordinaire de me dire que je ne me suis pas autorisé.e, que je n’y ai pas pensé mais que d’autres ont pensé à le donner au Mucem. Vive l’intelligence collective ! C’est un objet que nous avons créé à la Maison Folie de Lille, un lieu culturel. C’est important que les sœurs puissent permettre l’accessibilité de nos ouailles qui sont précarisées, malmenées, qui ont vécu des choses terribles, qui se sentent très isolées, qui ont été isolées par la société, qu’on a rejetées. C’est important qu’on puisse aller dans des lieux pleins de vie. Je propose plutôt des lieux culturels à nos ouailles parce que c’est ça qui me nourrit, mais ça peut aussi être dans des lieux festifs, des lieux de drague, et plein d’autres types de lieux. Je voulais faire connaître ce lieu fabuleux qui propose des expos, des activités gratuites à Lille. On y avait rencontré un auteur sérigraphe, Jean-Jacques Tachdjian, complètement farfelu et qui est tombé sous notre charme et vice versa. On s’était amusé.e.s à récréer des indulgences avec lui.
C’est quand même merveilleux, quand on était catholique, on pouvait s’acheter une bonne conscience en achetant des indulgences. On a donc recréé des indulgences mais, bien sûr, avec un autre discours, un autre projet derrière la tête, je veux dire derrière les cornettes ! L’artiste a trouvé des planches d’imprimerie de l’époque fin XIXe, et on a fait des collages avec des objets d’imprimerie vraiment utilisés pour faire certains types d’indulgences. On a retravaillé des flyers ou discours créés par d’autres groupes de sœurs. Ainsi, des sœurs de France s’étaient amusées à performer les dix commandements. Et nous avons choisi d’illustrer leurs dix commandantes, qui sont des messages de prévention, de réduction des risques, mais aussi des discours de joie et de rejet de la honte.
Ce flyer, c’est la première commandante sur le latex : « Si saloperie tu ne veux pas chopper, le latex devras utiliser. »
- Le tissu pour un autel de sœur
-
« Cet objet est un tissu pour un autel de sœur. Ces autels sont faits soit dans nos maisons, nos appartements, nos lieux de vie intimes et collectifs, soit dans des espaces publics. Ils peuvent ainsi être réalisés à la Maison de vie de Carpentras quand les sœurs y animent un ressourcement. On pose sur un meuble ou sur la terre un ou plusieurs tissus et dessus on va disposer des objets, des photos, des cartes postales. En fait, cette table est presque une sorte d’autel, sauf que la personne qui l’a conçu ne l’a pas imaginé pour cette fonction. L’autel est un lieu qui va pouvoir nous rassembler, permettre aux personnes de venir se recueillir. C’est un lieu qui peut être fédérateur lors d’événements. »
« C’est un très bel objet ce tissu noir et doré. Sur la notice, il est indiqué qu’il est accompagné d’autres objets. C’est une sœur qui a beaucoup œuvré au sein de l’ordre qui l’a donné, et qui participe aussi au comité de suivi. Pour ces raisons, c’est important pour moi de le choisir. Elle a beaucoup donné d’objets pour cette collection. C’est Alain-Pierre, sœur Irma. C’est une façon de lui faire un clin d’œil, à elle et à nos sœurs donatrices que de choisir cet objet. Encore aujourd’hui, aux réunions du comité, il ou elle a donné un objet et des archives. Je l’ai peu connu.e en tant que sœur, mais on s’est rencontré.e.s au début de mon parcours de jeune novice. C’était une sœur qui faisait beaucoup pour les ressourcements entre autres.
Des personnes représentées par des objets peuvent être reliées via cet espace symbolisé par ces tissus. On peut se les offrir aussi de sœur à sœur. Une sœur fondatrice américaine m’en a offert un, que j’ai ensuite transmis à un autre groupe, qui fait régulièrement des autels. Parfois, ces tissus pour autel peuvent être une serpillère, un drapeau, un vêtement… Souvent nos tissus sont liés à nos vêtements ou aux objets que l’on a portés. »
Explorez les collections du Mucem
Découvrir
Quelle plongée dans notre histoire !
« Je trouve passionnant qu’il y ait des objets des années 1990 et 2000. Mais il me manque des objets issus de nos combats actuels. Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de combats portés par des femmes cisgenres et par des personnes trans au sein de notre mouvement qu’il y a vingt ans. J’ai contribué avec d’autres à ce qu’il y ait ces identités et ces parcours de vie, d’autres luttes partagées au sein de notre ordre. Aujourd’hui, les mêmes objets regroupés sur cette table seraient sans doute confectionnés par ces sœurs et gardes, mais pas forcément avec les mêmes couleurs et référentiels politiques. Il manque par exemple plein de rubans roses ou les couleurs de la fierté trans…
Il y a encore beaucoup de choses à dire sur ces objets mais le message que je souhaite transmettre est celui d’inviter à aller à la rencontre de nos sœurs et gardes, de leur demander les significations de ce qu’elles ou ils portent, de ce qu’elles ou ils offrent… Et, surtout, j’aimerais, en cette période où l’ordre est fleurissant, que les sœurs et gardes actuel.le.s puissent témoigner à leur tour au sein de cette collection. On pourrait collecter par exemple l’affiche faite pour les vingt ans du couvent du Nord qui ont été célébrés l’année dernière ou encore un des magnifiques photomontages très coloré de sœur Lola Rosa, du couvent des Traboules à Lyon. J’aimerais aussi que ce pèlerinage contribue à permettre des échanges au sein de notre ordre sur les enjeux d’archiver nos actions et notre histoire. Cela permettrait de continuer de constituer un patrimoine commun. Ah oui, comme nous nous connaissons maintenant un peu mieux je peux vous présenter l’ensemble de mon titre de sœur : sœur Salem de la langue ardente, gardienne des passions et des sortilèges, patronne des Drag King et protectrice des adoratrices et adorateurs des poils, gardienne des tas de moules de la Braderie de Lille, dite « la sœur du rail ». Ce fut un plaisir de partager cette journée avec vous. Il y a plein d’autres objets de notre ordre à découvrir au sein des collections du Mucem. Alors soyez gourmand.e ! Promenez-vous sur le site du musée et perdez-vous un peu, je suis sûre que vous serez touché.e par la joie et un arc-en-ciel d’émotions. »
Informations pratiques
Au Centre de conservation et de ressources (CCR) du Mucem, situé dans le quartier de la Belle de Mai, une salle est dédiée à la consultation des collections d’objets conservées par le musée.
Sur demande préalable, les objets sont mis à disposition par un régisseur, présent pour répondre aux questions, aider à la manipulation des objets ou orienter vers la documentation afférente.
En fonction de la nature des demandes, un rendez-vous peut également être organisé avec un membre de la conservation du musée.
Centre de conservation et de ressources
1, rue Clovis Hugues
13003 Marseille
Contact
—Tél : 04 84 35 14 23 ou 20
—Courriel : reservationccr@mucem.org.
Le CCR est en accès libre du lundi au vendredi de 14h à 17h et sur rendez-vous de 9h à 12h30. Merci de vous munir d’une pièce d’identité lors de votre visite.