Livre - Modernité et tradition

La table familiale était une aubaine, c'était là que l'on se rencontrait, que l'on discutait, là où l'on recevait des leçons de morale, des leçons d'éducation: éducation sociale et religieuse, éducation sur le plan nutritionnel "ne buvez pas d'eau au cours des repas...ne salez pas beaucoup...il faut savoir partager...laisse à ta sœur...laisse à ton frère..." Il y avait un comportement nutritionnel à suivre mais aussi un comportement extraordinaire de solidarité... Par contre, le buffet américain, où l'on se sert soi-même, est une forme de disponibilité alimentaire. Regardez ce qui se passe dans les banquets et les cocktails. Maintenant, si vous arrivez trois quarts d'heure après le début, il ne reste plus rien. Les gens mangent à tort et à travers, alors que si vous étiez assis à table il y aurait tout un ordonnancement de mets. Avec le buffet, l'alimentation est devenue un ornement, un objet de décor... Le buffet américain est une forme de nomadisme alimentaire qui rejoint le grignotage, qui rejoint l'alimentation de pléthore, qui rejoint la disponibilité... Les fruits de mer étaient très rarement présents dans nos mets, on ne connaissait pas les crevettes, ni le homard alors qu'aujourd'hui ces produits sont intégrés dans nos plats traditionnels, ainsi, la ojja aux crevettes. On est allé dans l'excès contraire, alors qu'autrefois, on les refusait en raison de leur aspect "scorpionique", disait-on. Ces aliments, jadis dénigrés, sont actuellement retrouvés dans plusieurs recettes tunisiennes... Étant enfant, nous étions obligés de boire chaque matin une cuillère d'huile de foie de morue. Nous étions alors récompensés par une petite somme d'argent ou par des bonbons. Mais le goût était tellement désagréable qu'il fallait nous pincer le nez. Nos parents pensaient et c'est vrai d'ailleurs, que la vitamine A contenue dans ce produit était bénéfique pour la croissance... Une pratique qui était très belle autrefois, disparaît de plus en plus, c'est le s'hour. La table était bien servie et garnie de plats cuisinés à l'avance à cet effet. On retrouvait alors, macaroni, felfel mehchi, ma'qouda. Le s'hour était rigoureusement respecté et ceci malgré nos protestations. On nous réveillait pleurant ou pas. Qu'est ce que je me suis révolté: "laissez-moi dormir!"... Extraits d'un entretien avec le Professeur Zouhair KALLAL