photographie - Donbass chocolat

ARSEN SAVADOV , peintre et photographe né à Kiev en 1962 La série de photographies du peintre et photographe ukrainien Arsen SAVADOV intitulée « Donbass chocolat » met en scène une étrange pièce-performance au cours de laquelle le travail des mineurs est troublé par l?irruption d?artistes masculins en tutus et peut être de figurants. Arsen Savadov né en 1962 à Kiev fait entrer en collision deux grands mythes des années soviétiques : les héros de la mine et du ballet classique. La rencontre de ces deux groupes aujourd?hui marginaux a eu lieu en 1997 à 1500 mètres de profondeur dans une mine du Donbass. Partagé entre l?Ukraine et la Russie, le Donbass est un grand bassin houiller, situé entre la mer d?Azov et le Don. C?est la région natale de Viktor Ianoukovitch vaincu aux élections présidentielles de 2004. Dans ces images se trouvent confrontées deux cultures : « les mineurs qui incarnent la classe ouvrière en déclin et les artistes en tutu ? élite urbaine raffinée, réminiscence des mythiques ballets russes ». Ce choc court-circuite l?imagerie traditionelle de la propagande officielle. Dans un intéressant article Arsen Savadov et le sublime du bas Irène Salas rapporte les paroles de l?artiste : « Pour moi la mine est le subconscient de tout le discours soviétique dans son contexte idéologique. Les mineurs faisaient figure de véritables héros nationaux, au même titre que les cosmonautes. Ils représentaient les hommes les plus forts, les plus vigoureux, les plus utiles à la patrie ? j?ai entendu cela toute mon enfance ». C?est au début de la démocratisation de la Russie qu?il imagine son projet. « Il fallait que je sache où je me situais en tant qu?artiste dans ce nouveau contexte » confie Arsen Savadov. . La puissance attractive de ces images d?une singularité évidente laisse le spectateur ébranlé, surpris de cette étrange alliance en noir et blanc, de la richesse et des énigmes soulevés. Nous sommes dans un autre monde, souterrain, où d?étranges échanges ou processions ont lieu, où des hommes dont le cri s?éternise désignent la mort, agenouillés en tutu, où d?autres défilent sur un ton parodique, l?un botté en tutu tenant l?aigle à une tête , un autre la bannière d?un saint orthodoxe ( ?) à côté de mineurs torses nus .L?un d?eux tombé à la renverse , proie piégée , le regard effrayé, exhibe le dessous froufroutant de son tutu, encerclé par des mineurs debout enchaînés ( ?) : métaphore de l?effondrement d?un monde et de la désintégration de ses repères idéologiques et de ses mythes fondateurs. De plus l?image laisse incertaine la suite et le sort réservés à l?homme travesti tombé, déchu. Ces images dont l?étrangeté nous perturbe ont, selon Irène Salas, « connu un grand succès en Ukraine, dans la mesure où elles parlent à la culture de masse et au peuple qui y reconnaît ses icônes ». Parlant de la rencontre sous terre Arsen Savadov dit : « ?les mineurs ne se sont pas laissés apprivoiser tout de suite, ils étaient farouches comme des animaux sauvages dont on menaçait le territoire. Nous apparaissions comme des clowns, mais dès qu?ils ont compris que nous travaillons dur, ils ont pu apprécier la magie que nous apportions dans leur univers hostile?..aujourd?hui ils ne veulent même plus remonter à la surface et préfèrent vivre en ghetto dans ces souterrains qu?ils ont domestiqués et aménagés ». L?artiste se mouille, s?engage et dit dans son langage d?artiste les conflits sociaux, les désastres, les combats .Il s?engage à fond ,descend dans la mine , à la rencontre des mineurs, partage. L?Art devient une aventure humaine « partagée dans l?épreuve et la souffrance » dit Savadov. Autre dimension de l?½uvre : comme l?écrit Stéphane Levy-Kuentz : « Savadov dynamite surtout les clichés de la masculinité ?... Transférant les codes virils liés au pouvoir par le travestissement, la transversalité dérangeante qu?il met en ½uvre déboute les exercices imposés du masculin de ses obligations hormonales. Effeminant le monde des mineurs de fond en y invitant l?imaginaire virginal du ballet d?opéra ? sorte de mariage contre nature du ciel et de l?enfer - . Savadov questionne la condition même du héros comme la distribution des rôles sociaux en vigueur jusqu?au XX ème siècle ». Les bouleversements liés à l?effondrement du communisme dans les pays de l?Est ont aussi permis l?émergence d?un art critique, exacerbé, violent , révélateur des nouveaux conflits sociaux , balayant les images de la propagande d?Etat et de l?art officiel c?est à dire du réalisme soviétique .Cette performance avec les mineurs du Donbass en est l?éclatante preuve. Ces images dont la beauté dérangeante, la puissance évocatrice et la valeur subversive sont incontestables pourraient servir des thématiques comme celle du Paradis ( le Paradis socialiste) ou de Masculin-Féminin traitées par le Musée des Civilisations de l?Europe et de la Méditerranée.