Livre - Arts populaires graphiques

Est-on fondé à rapprocher, sous le même titre d’imagerie populaire, des œuvres aussi différentes, par la technique de fabrication, qu’une lithographie de Dembour, une taille-douce d’un anonyme de la rue. Saint-Jacques, un bois gravé de Godard, de Georgin ou d’Allabre ? N’y a-t-il pas une distance aussi grande, pour les conditions économiques de production, entre un cartier de Marseille au 18e siècle et la fabrique Pellerin à la fin du 19e siècle, qu’entre cette même fabrique et une entreprise moderne de bandes dessinées ou de romans-photos ? Les similarités ne sont-elles pas frappantes, quant au genre, entre un bois gravé vantant les mérites du bon cidre de Normandie et une moderne sérigraphie exposant les avantages de la bière d’Alsace ? II faut pour explorer le domaine de l’imagerie populaire, s’interroger sur la variété de ses fonctions : l’image de la Sainte Vierge, exposée au mur, préserve la maison ; le roi de cœur et la dame de pique, entre les mains des joueurs, monnaient l’échange et la communication. II faut repérer les thèmes, identifier les versions successives des Âges de la Vie ou du Monde renversé, rechercher quels changements dans les modèles culturels dénotent ces variations. II faut évaluer dans quelle mesure la technique conditionne le choix des formes et l’usage des couleurs, montrer comment le travail du bois, du cuivre, de la pierre et du papier offre au jeu de l’imagination une carrière toujours renouvelée. Car si en définitive nous goûtons ces images, n’est-ce point en raison du prix que nous attachons à tout ce qui stimule, par l’étrangeté et la distance, les fonctions de l’imaginaire ? Jean CUISENIER