Livre - Les racleurs de vent

Plusieurs fois au cours du voyage, il manquera laisser bêtement la vie. Bêtement? Lui-même était convaincu que ce risque était le prix - modique, somme toute qu'il fallait payer pour avoir le privilège d'approcher l'âme tsigane. Et puis c'était la règle du jeu, dans ces pays où l'hospitalité est généreusement déclinée sur tous les registres du possible - coups de Jarnac compris - et où l'on ne sait jamais si ceux qui vous accueillent ont décidé de vous dépouiller avant ou après vous avoir égorgé. Le lecteur, cette âme sans coeur, ne s'en plaindra pas, qui trouvera au récit de Walter Starkie (l'un des classiques de la littérature de l'errance - jamais traduit en français à ce jour) une saveur forte mais vraie. Cet Irlandais peu conformiste, animateur avec Yeats du légendaire Abbey Theatre, ami de Lorca et de tous les gitanos de Grenade, distingué professeur du Trinity College de Dublin (et malgré cela violoniste d'occasion en mainte taverne), décide en 1929 d'aller par les chemins de la Puszta à la rencontre des Tsiganes errants, ses frères en musique. A le suivre, nous n'ignorerons rien de la vie des Fils du Vent, rien de la beauté ensorceleuse de leurs brunes filles (Starkie est très intéressé par elles), de leurs croyances, de leurs légendes, de leur musique surtout; rien, non plus, des misères à quoi les condamnent les préjugés des autres-et un racisme ordinaire qui, on le sent déjà, ne demande qu'à devenir extraordinaire. Enfin et surtout nous avons la chance, mettant nos pas dans les siens de cheminer en compagnie d'un homme qui, s'il reste extérieur au monde qui l'accueille, sait observer, sentir - et pressentir. Car une chose par-dessus tout l'émeut - et nous avec lui -, c'est de savoir ce monde condamné par notre goût immodéré de l'ordre, de la médiocrité, de l'esclavage. Rien qu'à ce titre, ce livre, balayé par le grand vent d'une rébellion venue du fond des âges, mérite d'avoir sa place dans la bibliothèque de tous les amoureux de la liberté.