Instant tunisien
Archives de la révolution
Mucem, fort Saint-Jean—
Galerie haute des Officiers
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Du mercredi 20 mars 2019 au lundi 30 septembre 2019
L’exposition retrace les vingt-neuf jours de la révolution tunisienne depuis l’étincelle de Sidi Bouzid jusqu’à la chute du président Ben Ali.
Le 14 janvier 2011, le président Ben Ali fuyait la Tunisie après vingt-trois ans de règne sans partage. L’aboutissement d’un processus débuté vingt-neuf jours plus tôt quand, le 17 décembre 2010, un jeune marchand ambulant de la ville de Sidi Bouzid s’était immolé par le feu ; acte de protestation désespéré face à un système rigide et corrompu qui allait, très vite, embraser l’ensemble du pays…
La révolution tunisienne est une révolution inédite à plus d’un titre. À l’ère de la communication numérique, elle a inauguré l'interaction entre les nouvelles technologies et la rue, introduisant un nouveau type de mobilisation, de nouveaux modes d’action politique, de nouvelles expressions artistiques.
L’exposition retrace les vingt-neuf jours de la révolution tunisienne depuis l’étincelle de Sidi Bouzid jusqu’à la chute du président Ben Ali. Elle s’appuie sur un vaste fond d’archives composé de vidéos, de photos, de blogs, d’enregistrements sonores, mais aussi de poèmes, de slogans, de chansons et de communiqués émanant de la société civile, collectés par le réseau Doustourna en collaboration avec plusieurs institutions publiques nationales tunisiennes. Le Mucem, qui a participé dès l’origine à cette collecte, présente les résultats de ces travaux lors de cette exposition, qui fait suite à celle organisée au Musée national du Bardo (Tunis).
À l 'occasion du programme « Travail, dignité, liberté ! », l’exposition est exceptionnellement ouverte en accès libre du 3 au 5 mai 2019.
—Commissariat : Houria Abdelkafi, commissaire indépendante, Elisabeth Cestor, adjointe du département du développement culturel et des publics du Mucem
—Création graphique et scénographie : Géraldine Fohr et Renaud Perrin
—Coordination de l’exposition : Agathe Salgon
Exposition réalisée avec le collectif en charge de la collecte et de l’archivage du patrimoine numérique et documentaire de la révolution tunisienne
En collaboration avec 14th
En collaboration avec le Ministère des affaires culturelles
En collaboration avec l'Institut Français
Dans le cadre du festival « Jeu de l'oie » organisé par AMU.
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Entretien avec Houria Abdelkafi et Elisabeth Cestor, commissaires de l’exposition
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Mucem (M.) Cette exposition repose en grande partie sur des vidéos, notamment filmées à l’aide de téléphones portables durant les événements de la Révolution tunisienne. Ceci illustre le rôle clé qu’ont joué les réseaux sociaux et les médias numériques dans le processus révolutionnaire ?
Elisabeth Cestor (E.C.) En effet. Les réseaux sociaux ont joué un rôle primordial, notamment en matière d’information, car les médias officiels restaient discrets sur le déroulement de la Révolution. Aussi, si beaucoup de personnes ont filmé les événements, c’était pour pouvoir témoigner des violences et de la répression, pour garder des traces, des preuves qui auraient pu être utiles en cas de procès. Ces images, qui ont ensuite abondamment circulé sur Internet et dans des médias tels qu'Al Jazira ou France 24, ont permis de donner une résonnance mondiale à la Révolution.
Houria Abdelkafi (H.A.) Les vidéos sont un des éléments, disons « vivants » de l’exposition. Elles permettent de restituer l’ambiance, le souffle des évènements, de donner chair au récit. Elles témoignent de ce besoin de l’individu de garder trace de ce qui se passe. Oui, les technologies de communication ont joué ce rôle d’amplificateur. Elles ont contribué à inscrire la Tunisie dans le monde global et à faire entendre sa voix.
(M.) Peut-on dire que la Révolution tunisienne marque l’entrée à grande échelle des archives numériques dans la recherche historique ?
(E.C.) Il faut rappeler ici le rôle fondamental qu’a pu jouer le chercheur français Jean-Marc Salmon. Alors qu’il travaillait sur la Révolution, il s’est rendu compte qu’un grand nombre d’images et de vidéos postées sur Internet aux moments des faits étaient en train de disparaître. Il fallait donc sauver cette mémoire. Il a mené une enquête sur place, qui a abouti au livre 29 jours de révolution : Histoire du soulèvement tunisien. Les Tunisiens ont ensuite pris le relais : un collectif s’est formé pour collecter un maximum d’images, et il a rapidement reçu le soutien des institutions nationales. C’est ainsi que ce projet d’archivage numérique est né. Pour éviter que cette histoire se perde, qu’elle soit réécrite, déformée, ou instrumentalisée.
(H.A.) Inédite, la démarche de constituer ce fonds d’archives numériques est déjà reprise ailleurs, où d’autres collectifs sont en train de collecter ces témoignages périssables. L’exposition se propose ainsi d’explorer de nouvelles pistes de perception de l’histoire, saisie dans son immédiateté, forgée avec un matériau à l’état brut, lui-même issu de sources informelles, alternatives où la subjectivité a une part importante…
(M.) De quelle façon ces sources ont-elles été réunies ?
(H.A.) Ce fut un long processus : formation d’enquêteurs, élaboration de documents, contacts avec les citoyens-acteurs-témoins à partir du Rapport de l’Instance d’investigation sur les violations et les dépassements, appelé « Commission Bouderbala ».
Dans le souci d’apporter des informations complémentaires aux documents audio-visuels, des enregistrements ont été effectués, des témoignages de familles de martyrs ont été consignés, des formulaires ont été élaborés, des fiches d’identification des documents numériques et de leurs auteurs ont été établies. Cet ensemble de documents est conservé aux Archives nationales de Tunisie, qui ont procédé au visionnage des 1100 vidéos et autant de photos, à leur datation, à leur authentification, leur archivage, et leur sauvegarde. Le travail de collecte est toujours en cours.
(E.C.) L’authentification et la datation de ces vidéos furent particulièrement difficiles. Il fallait par exemple identifier celles qui étaient issues de montages déformant les faits. Aussi, un logiciel permettait, à partir d’un examen très précis des images (par exemple les ombres sur le sol) de retracer heure par heure le parcours des manifestants. Cette exposition, finalement, est une façon de rendre hommage à cet immense travail qu’a représenté l’archivage des sources de la Révolution.
(M.) Au-delà des archives numériques, l’exposition montre aussi des caricatures, graffitis, slogans, chansons, qui ont accompagné le mouvement…
(H.A.) Afin de proposer une vision aussi riche et complète que possible des évènements, le contenu de l’exposition entrecroise et superpose différents éléments, chacun apportant un nouvel éclairage. En libérant la parole, la révolution fut une source d’inspiration pour tous les créateurs.
(E.C.) Nous pouvons par exemple citer les caricatures de Nadia Khiari, qui a dessiné le fameux chat Willis from Tunis, devenu l’un des symboles de la Révolution. C’était sa manière à elle de participer aux événements. D’autres ont inventé des slogans, d’autres ont fait des vidéos… Chacun s’est investi à sa façon.
L’exposition présente aussi une création sonore spécialement composée pour le projet, la Grande clameur, élément d’immersion sensorielle qui clôt l’évocation des 29 jours de la révolution. Issue des archives, cette bande-son volontairement saturée restitue cette ambiance si particulière, cette énergie collective soufflant sur les villes et les villages. Elle s’achève par le cri d’un homme, dans un état quasi délirant, seul dans la ville sous couvre-feu : « Ben Ali a fui ! Ben Ali a fui ! »
(M.) Huit ans après la Révolution, où en est la Tunisie aujourd’hui ?
(E.C.) Tout est encore très fragile. La Tunisie a certes réussi sa Révolution, mais n’est pas à l’abri de nouveaux bouleversements. La situation économique et sociale reste particulièrement sensible, de nouvelles immolations ont eu lieu récemment… L’année 2019 devrait être un tournant car des élections législatives et présidentielles sont prévues.
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