Plateau Algérie, XIXe-XXe siècle Cuivre, fil d’argent, fil de cuivre rouge © Mucem
Algérie-France
La voix des objets
Tables rondes, installation et musique
Le Mucem a inauguré en 2017 un dispositif original mêlant étroitement installation et tables rondes : « Algérie-France, la voix des objets ». Ce projet résultait du dépôt, dans les fonds du musée, de la riche collection du musée d’Histoire de la France et de l’Algérie (MHFA), dont la création fut initiée au début des années 2000 par la ville de Montpellier, avant d’être abandonnée en 2014.
Au printemps 2018, le Mucem interroge à nouveau les relations qu’entretiennent, depuis près de deux siècles, la France et l’Algérie : à travers une installation (visible dans le forum du J4) et une série de trois tables rondes (les 4, 9 et 16 avril), il s’agit cette année de revenir sur les conséquences – toujours actuelles – de l’histoire franco-algérienne sous l’angle des migrations et des exils qu’elle a provoqués. Il y sera question, plus particulièrement, des juifs d’Algérie, des Berbères kabyles, et des « supplétifs », mieux connus sous le terme de « harkis ».
S’appuyant sur le fonds d’objets désormais conservés au Mucem, anthropologues, écrivains et artistes sont invités à croiser leurs regards sur ce patrimoine, afin d’en explorer ensemble les richesses – comme les lacunes –, et de réunir autour des histoires qui le composent toutes les mémoires dont il est aujourd’hui l’héritage.
Rendez-vous dès 18h30 au forum, un préambule musical étant proposé avant chaque table ronde, en partenariat avec la Cité de la Musique de Marseille.
Propos général
En 1830, alors qu’ils prennent la régence d’Alger par la force sur ordre du Roi de France, les militaires décrivent, tout comme l’avaient fait les savants voyageurs aux XVIIe et XVIIIe siècle, une région où se mêlent des Turcs, des Couloughlis, des Maures ou Arabes, des Juifs, des Mozabites, des Chrétiens… donnant ainsi à voir une société cosmopolite et hiérarchisée, dans laquelle cohabitent des habitants de statuts divers.
Lorsqu’en 1834, la France nomme les territoires conquis à partir d’Alger les « possessions françaises en Afrique du Nord », leurs habitants indigènes deviennent alors français, comme le veut le code impérial de 1803 qui attache la nationalité au sol. Mais, et c’est la première différence de traitement juridique avec le sol métropolitain, cette nationalité n’est pas assortie des droits civiques que possèdent les Français nés en France. Le projet de colonisation institue l’inégalité statutaire au cœur de la société algérienne et, via diverses mesures discriminatoires, en multiplie les effets de clivage entre les Européens et les habitants autochtones. Pendant la période coloniale, les Arabes ou les Berbères sont désignés sous le vocable d’ « indigènes », puis de « Français musulmans », rarement « Français » tout court, tandis que le terme d’ « Algériens », quand il est employé, désigne les Européens d’Algérie. Au fond, ni le nom de Français ni le nom d’Algérien n’ont pu pleinement embrasser uniformément la population de l’Algérie française.
En 1962, lors de l’accession à l’indépendance de l’Algérie, les habitants français musulmans deviennent les Algériens. Dans le même temps, le reste de la population s’exile en métropole, soit plusieurs centaines de milliers de personnes d’origine essentiellement européenne, dont la majorité des juifs d’Algérie naturalisés français, ainsi qu’une partie des « supplétifs », c’est-à-dire les Français musulmans ayant été recrutés par l’armée française pendant la guerre. En France, que la plupart découvrent, les premiers sont qualifiés de « Français d’Algérie », ou « pieds-noirs » - classés dans la catégorie des rapatriés -, tandis qu’on appelle les seconds « Français de souche nord-africaine », « harkis », « Français musulmans réfugiés »…
Cette multiplicité de noms reflète l’héritage colonial dans la gestion des populations « musulmanes » et l’ambiguïté politique dans l’accueil et le traitement qui leur a été assigné. Cette multiplicité de noms participe de la difficulté d’écrire un récit apaisé de l’histoire franco-algérienne, tant chacun d’entre eux est susceptible de raviver une blessure mal cicatrisée. Cette multiplicité de noms, enfin, continue à marquer les mémoires intimes et se retrouve, comme par un jeu de miroirs, dans les sociétés actuelles d’Algérie et de France.